April 15, 2008

Interview

L'Agence du Patrimoine Immatériel de l'Etat a débuté ses activités il y a quelques mois. Patrick Moynot, chargé de mission au sein de celle-ci, a aimablement répondu à quelques questions sur les activités de l'Agence, qui touchent aussi au nommage internet.

L'Agence du Patrimoine Immatériel de l'Etat a pour mission de recenser, protéger, et valoriser les actifs immatériels publics.
Quel est plus précisément votre rôle au sein de l'Agence ?

L'agence dispose d'une organisation en râteau avec des circuits hiérarchiques extrêmement courts. C'est à la fois la garantie d'une efficacité maximale et l'assurance de la polyvalence des membres de l'équipe, qui fonctionne en mode projet. Du coup, il n'existe pas de rôle prédéterminé. Cela étant, une écrasante majorité des chefs de projet a été recrutée dans le secteur privé, et il va de soi que chacun intervient aussi en fonction de son expérience ou de son secteur de prédilection. Pour ce qui me concerne, je viens de la distribution, et plus particulièrement du commerce électronique. J'interviens donc en particulier, mais pas de façon exclusive, sur les problématiques liées à l'internet.

Et sur laquelle des activités vous concentrez-vous : recensement, protection, ou valorisation ?

Il a été décidé de ne pas se lancer dans une entreprise de recensement exhaustif (qui viendra dans un second temps), mais de privilégier des interventions susceptibles de mener rapidement à des mises en application concrètes, visibles, qui constitueront autant de pilotes et d'exemples pour les administrations. Par ailleurs, la mission de l'APIE consiste avant tout à sensibiliser les administrations, à les amener à une prise de conscience de leurs actifs immatériels, et à les aider à valoriser ces actifs. La protection, quant à elle, intervient principalement à titre subsidiaire dans le cadre d'une démarche de valorisation, jamais comme un objectif en soi.

Votre métier se divise donc en deux : un rôle, si l'on peut dire, « d'évangélisation », et un rôle d'accompagnement et de conseil.
Est-ce que cette mission est acceptée et bien perçue par les personnes publiques concernées ?

Il est évident qu'elle demande un effort de pédagogie afin d'être bien comprise. En particulier, nous nous efforçons d'expliquer qu'il ne s'agit pas de valoriser dans une optique de performance commerciale, comme si l'Etat, son administration ou ses établissements devaient se comporter comme les entreprises privées. Non, il s'agit de dégager des recettes complémentaires dans l'objectif d'améliorer l'exploitation par le secteur privé de cette richesse publique que constituent les actifs immatériels et de donner davantage de moyens à l'administration pour mieux remplir ses missions.

Prenons l'exemple de l'accès aux données publiques et de la publicité sur certains sites web publics. Mettre l'information et les données publiques à disposition du plus grand nombre, permettre aux entreprises de les exploiter représente un investissement pour la collectivité (coûts informatiques, coûts humains, etc.). Pourtant, il est admis que cela profiterait à l'ensemble de l'économie si ces « richesses » étaient accessibles, ce qui n'est souvent pas le cas. L'idée est donc de faire financer ces investissements de mise à disposition par de la publicité, dans certaines conditions, sur certains sites uniquement et de façon très encadrée. C'est une opération gagnant-gagnant : les annonceurs privés disposent d'espaces publicitaires supplémentaires, souvent sur des publics très ciblés, ce qui génère des recettes pour l'administration, lesquelles permettent à leur tour de financer une meilleure mise à disposition des informations qui deviennent à cette occasion exploitables par la sphère économique et le grand public.

Pouvez-vous donner un ou plusieurs exemples de valorisation déjà entreprise et réussie ?

L'APIE a réellement démarré ses activités en septembre 2007 et il est encore un peu tôt pour faire un bilan chiffré. Les projets actuellement en cours commencent à peine à donner lieu à des mises en œuvre concrètes. Outre le cas des bases de données publiques que l'on vient d'évoquer, on peut toutefois citer la valorisation du patrimoine historique de l'Etat : nombre de ministères et d'établissements prêtent leurs salons pour des évènements privés dans des conditions financières et juridiques préjudiciables à l'intérêt public, le plus souvent parce qu'ils n'ont pas conscience de leur valeur ou parce qu'ils ne savent pas comment faire. L'agence les aide donc à définir une politique commerciale et à rédiger leurs contrats. Les demandes sont nombreuses : location des grands salons du Quai d'Orsay pour des événements, tournages de films dans les préfectures, les bases militaires, ou les tribunaux…

On peut également citer, dans un domaine qui vous est plus familier, le traitement par l'agence des demandes de libération de domaines réservés en .eu... ou l'activation d'un nom de domaine dont plusieurs se sont émus qu'il ne soit pas exploité : www.france.fr...

Dans le domaine de la propriété intellectuelle, vous travaillez donc, entre autres, sur la valorisation des bases de données, la valorisation des marques, l'exploitation de noms de domaine.
Quels sont par exemples les signes distinctifs que vous faites fructifier ?

Nous intervenons actuellement sur le projet d'implantation de l'école de St Cyr au Qatar, sur le modèle du Louvre Abu Dhabi. Il s'agit de valoriser le savoir-faire, l'histoire et le nom « St Cyr » mais aussi bien sûr les traditions, le grand uniforme, etc.

Plus spécifiquement, en matière de nommage, quelle est la stratégie ? Et dans quels espaces de nommage (.fr, .com...) ?

On constate aujourd'hui un manque de cohérence en matière de nommage des sites internet publics : certains sont en .gouv.fr, d'autres simplement en .fr, sans que cela corresponde à une politique bien définie. Celle-ci est du ressort du SIG (Service d'Information du Gouvernement, dépendant de Matignon). Dans le cadre de la réflexion sur la publicité sur les sites publics, nous sommes amenés à mettre à jour ces incohérences. L'idée, en collaboration avec le SIG est de parvenir à une politique plus cohérente, permettant aux différents gestionnaires de se positionner. Nous n'avons toutefois pas vocation à fixer des règles au-delà des TLD .fr, .gouv.fr ou .eu. En particulier, il n'y a pas de volonté de récupération systématique des .com.

L'action menée peut-elle éventuellement aller jusqu'à des opérations contentieuses de récupération ?

Le cas ne s'est pour l'instant pas présenté. Cela étant, nous ne nous interdisons rien. Notons seulement qu'en la matière, l'expérience montre que les actions en contentieux sont rarement couronnées de succès, à la différence des transactions amiables.

En ce qui concerne le nommage en particulier, les pouvoirs publics se sentent-ils plutôt concernés, ou sont-ils au contraire plutôt indifférents à la démarche ?

Il est toujours délicat de raisonner au niveau des « pouvoirs publics », pris comme une entité homogène. Ce que l'on peut dire, c'est que notre action consiste aussi à sensibiliser les gestionnaires publics à ces problématiques. Certains sont évidemment plus en avance que d'autres. Mais de façon générale, c'est une question qui vient assez naturellement dès lors que l'on s'intéresse à la protection et à la valorisation de son patrimoine immatériel. On ne peut donc pas parler d'indifférence quand ce sujet arrive sur la table. En revanche, il y a une vraie prise de conscience à provoquer, et c'est précisément le rôle de l'Agence.

Existe-t-il des équivalents de l'A.P.I.E. dans d'autres pays, ou à l'échelon européen ?

Aucun. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle de nombreux pays viennent nous voir pour tirer parti de l'expérience française…

Comment est-ce que l'on se retrouve à travailler pour cette Agence ? :~)

Je suis un entrepreneur. J'ai monté une société et comme beaucoup, j'ai souvent pesté contre les pouvoirs publics « qui n'y comprenaient rien ». Mais il y a un moment où il faut prendre ses responsabilités : il est sain, souhaitable, et même indispensable, qu'il y ait des passerelles entre le monde de l'initiative privée et celui de l'action publique. De la même façon que l'on aimerait que les politiques aient une expérience significative de l'entreprise, il est bon que les salariés du privé viennent acquérir une expérience au sein de l'administration. Cela évite les dialogues de sourds à base de « y a qu'à, faut qu'on » où l'incompréhension mutuelle bloque toute avancée.

Merci Patrick Moynot.

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