August 25, 2008

Une décision "Bayard" qui n'est pas sans reproche

Il y a d'un côté la S.A. Bayard Presse et ses deux marques BAYARD PRESSE et BAYARD PRESSE JEUNES, et de l'autre un nom de domaine bayardjeunesse.com. Ce nom avait été enregistré fin 2004, et parqué via Sedo en 2006, ainsi qu'il fut constaté par huissier. La page parking permettait "d’accéder à des liens publicitaires avec des sites concurrents ou avec des sites ayant pour objet des produits et services non similaires à ceux visés par les marques [précitées], et notamment des sites pornographiques". Sedo GmbH est assignée en contrefaçon (seule). Un jugement a été rendu contre cette dernière.

Devant les juges, la société allemande s'était prévalue de l'article 6 de la LCEN, cette disposition devenue fameuse par laquelle un fournisseur d'hébergement peut être exonéré de responsabilité s'il n'est pas démontré qu'il connaissait l'existence de contenu litigieux. Mais y a-t-il ici fourniture d'hébergement, ce qui est la condition d'application du texte ? Non selon les magistrats, qui relèvent que

la société SEDO Gmbh se charge d’insérer les liens publicitaires ciblés sur les pages des noms de domaine qu’elle parque, qu’elle recherche, certes en coopération avec la société GOOGLE, des partenaires publicitaires et qu’elle propose à la vente lesdits noms de domaine, de sorte qu’elle exploite commercialement les sites “sedoparking.com” et “sedo.fr” et que son activité ne se limite pas à celle d’hébergeur de sites internet
A suivre les juges, donc, Sedo fournirait du contenu, et pas seulement un espace de stockage. L'on comprend entre les lignes qu'il présume qu'il y a connaissance du contenu des liens publicitaires, qui ne sont pas fournis à l'aveugle, ni répercutés sans contrôle dès lors qu'ils proviennent de la régie publicitaire de Google (les juges allemands ont en pour leur part décidé autrement, sur la base de l'équivalent allemand à l'article 6 de la LCEN, tous deux transposant une même disposition de la directive commerce électronique de 2000).

La société ne pouvant être exonérée de responsabilité, est-elle pour autant coupable de contrefaçon ? Les juges constatent que la page de liens publicitaires accessible par le nom litigieux comporte

un encart intitulé “Autres liens” permettant d’accéder à d’autres pages ayant une adresse commençant par “sedoparking.com” répertoriant sous la dénomination “bayardjeunesse.com” divers sites sur les thèmes suivants “Tom Tom et Nana”, “livres divertissements”, “éditions”, “revues bayard”, “jebouquine”, “BABAR”, “le voyage de toutankril”, “lesbiennes érotique” et “maryse condé”
“Tom Tom et Nana”, “livres divertissements”, “éditions”, “revues bayard”, “jebouquine” et “BABAR”, évoquent des produits et services identiques ou similaires à ceux pour lesquels les marques Bayard ont été déposées. Les juges vont conclure au risque de confusion :
Que d’un point de vue visuel et phonétique, la marque “BAYARD PRESSE” et la dénomination “bayardjeunesse.com” ont en commun le terme “BAYARD”, fortement distinctif compte tenu de son caractère arbitraire et de sa position d’attaque, les mots “PRESSE”et “jeunesse” étant au contraire descriptifs de l’activité ou du public concernés ;
Que la marque “BAYARD PRESSE JEUNE” et le nom de domaine incriminé ont au surplus en commun le mot “JEUNE”, employé seul dans le signe premier et décliné sous le vocable “jeunesse” dans le second ;
Que sur le plan intellectuel, les trois signes en cause font référence au Seigneur de Bayard, surnommé le Chevalier sans peur et sans reproche, la marque “BAYARD PRESSE JEUNE” et le nom de domaine “bayardjeunesse.com” évoquant en outre l’idée de jeunesse ;
Attendu qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’identité ou la similarité des produits et services concernés alliée à la forte similitude entre les signes en cause pris dans leur ensemble entraîne un risque de confusion, le consommateur d’attention moyenne étant amené à attribuer aux produits et services proposés une origine commune ;
Que la contrefaçon est ainsi caractérisée.
L'équation peut difficilement être contredite : il y a emploi d'un nom de domaine fortement similaire à une marque, dont l'emploi aboutit à une page décrivant des produits ou services pour lesquels la marque a été déposée et est utilisée. Dès lors que les juges relèvent le risque de confusion, il ne peut que conclure à la contrefaçon.

... Mais de la part de qui ?

Etait-ce Sedo ici qui faisait usage de ce nom, ou était-ce le client ? La sanction est prononcée sur le fondement de l’article 713-3 b) du Code français de la Propriété Intellectuelle qui dispose que “sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement”. N'est-ce pas le client de Sedo, titulaire du nom de domaine, qui choisit de parquer son nom, et provoque l'affichage de liens par le choix de mots-clef ? Cette seconde approche paraît plus en phase avec la réalité. Juridiquement, elle ne devrait pas autoriser la condamnation de la place de marché de noms.

Le même raisonnement peut être adopté, mutatis mutandis, pour la concurrence déloyale, également retenue dans cette affaire.

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