May 27, 2010

A-graisse-ion caractérisée

Une société américaine et une française sont en concurrence sur le marché européen des méthodes de réduction de graisse par usage d'ultrasons.
La première détient diverses marques LIPOSONIX, et les noms liposonix.com (depuis 2000), liposonix.net et liposonix.org (depuis 2006). La seconde a une marque ULTRACONTOUR.
La seconde a enregistré les noms liposonix.fr, liposonix.be, liposonix.info, liposonix.biz, et liposonix.eu par mesure de rétorsion suite à un différend commercial, puis a proposé le transfert de liposonix.fr en échange de ultracontour.de exploité par l'autre.

Le tribunal constate que l'enregistrement de ce nom par la société française a été fait "en vue de priver [le demandeur] d'un nom de domaine exploitable en France, à une époque à laquelle la demanderesse souhaitait investir le marché européen". Il fait la même observation à propos des autres noms.
Comme ces noms "ne se rattachent pas à l'activité réelle de la société [défenderesse]", qu'ils "étaient toujours inactifs, ce qui démontre que les enregistrements ont été détournés de leurs fonctions pour constituer des moyens de pression afin d'obtenir un avantage de la société [demanderesse]" :

Il s’ensuit que l’adjonction des extensions ".fr", ".be", ".info", ".biz" et ".eu" au signe « LIPOSONJX », quï désigne le produit développé et commercialisé par la société [demanderesse], par un mandataire de son concurrent direct constitue un acte fautif, destiné à faire obstacle à la commercialisation en Europe du produit « Liposonix ».
En conséquence, ces dépôts de noms de domaine n’avaient donc pour unique fonction que de constituer un moyen de pression afin d’obtenir le transfert du nom de domaine allemand "ultracontour.de" (...), dans une situation de concurrence commerciale tendue (...).
Enfin, les menaces de la société [défenderesse] dans son mail du 18 février 2008 consistant en la publication de propos destinés à ternir l’image de la société demanderesse sur le site "liposonix.fr" démontrent que l’appropriation du nom de domaine reproduisant le nom de la société [demanderesse] et le nom de son produit phare a été effectuée dans une intention de nuire.
Il s’induit nécessairement de l’ensemble de ces éléments qu’en enregistrant les noms de domaines litigieux, la société [défenderesse] a cherché à priver la [demanderesse], d’un moyen de communication indispensable à son essor dans la Communauté européenne, ce qui caractérise un comportement frauduleux ayant causé un préjudice à la demanderesse.
Le jugement est rendu sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Autrement dit, il semble - mais à première vue seulement - que le simple fait d'enregistrer un nom de domaine identique à une marque pourrait suffire à engager la responsabilité de l'auteur de l'enregistrement, alors que le nom de domaine est inactif. Un tel jugement n'est-il pas contraire à l'arrêt Locatour, lui aussi rendu en application de l'article 1382, et en conséquence duquel la faute suppose un risque de confusion ?

Dans la présente affaire, le juge tient compte du contexte très particulier des relations entre les parties, et des circonstances ("chantage" électronique, dépôt parallèle en Europe d'une marque identique à celle du demandeur). C'est au vu de ces éléments que la faute est caractérisée - "intention de nuire" -, pas sur la base exclusive de l'enregistrement sec d'un nom.


Le tribunal observe - ce qui est un peu contradictoire avec ses remarques précédentes sur la nécessité de posséder le .fr pour pénétrer le marché français - que la société demanderesse possédait des noms en .com, .org et .net qui lui permettaient "de présenter sa marque et son produit sur internet". Le préjudice est en conséquence minoré (5.000 €).

A noter que l'enregistrement du nom liposonix.fr est également jugé contraire à l'article R. 20-44-45 du CPCE (autrement dit, la sanction tombe deux fois sur deux fondements différents...!). La juridiction s'emmêle quelque peu les pinceaux en en prononçant le transfert sur le fondement de l'article R. 20-44-49, car elle ordonne le transfert au titulaire, et non à l'office d'enregistrement comme le voudrait ce texte.

[TGI Paris, 16 avril 2010]
.

No comments: