November 05, 2011

Non, le SEO n'est pas abusif !

Le site Legalis a publié très récemment un article intitulé La Cour de Douai sanctionne le référencement abusif. Cet intitulé semble faire mouche, déjà repris sur diverses publications en l'état. Mais à lire l'arrêt, y a-t-il véritablement référencement "abusif" ? Il semble plutôt que ce soit le titre de cette dépêche qui le soit.

L'arrêt date du 5 octobre 2011. Il sanctionne la société Saveur Bière et son gérant, et donne raison à l'entreprise Sélection Bière de Céline S. Soulignons-le d'emblée : la condamnation est justifiée, les premiers ayant faussement affirmé "sur leur site saveur-biere.com que les nouveaux produits qu’ils commercialisent sont plus fiables que les anciens produits, qui sont ceux commercialisés sur le marché allemand et distribués par Céline S.".
La Cour a souligné avec raison qu'il s'agit d'"actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale au préjudice de leur concurrente dont les produits sont signalés comme déficients".

Mais la Cour retient aussi qu'il y aurait atteinte à la loyauté de la concurrence du fait des pratiques de référencement utilisées pour la promotion du site saveur-biere.com. Pourquoi cela ?
Elle observe que lorsque l’on saisissait différents mots clefs identiques ou similaires à "selection biere" dans les différents moteurs de recherche tels que Google, Yahoo, Voila, MSN, AOL, Altavista, Excite, Alltheweb, Lycos (oui, oui, Lycos !) ce sont les sites des défendeurs qui apparaissent (en quelle position exacte, cela n'est pas indiqué par les juges). Il s'agit d'une série de sites, dont saveur-biere.com, mais aussi des sites qui y renvoient comme misterbiere.com, in2beers.com, mister-biere.com, esprit-biere.com, couleur-biere.com, couleursbieres.com, monsieurbiere.com. La Cour note "que ces sites n’offrent aucun service, sinon de proposer une suite de liens renvoyant sur le site principal de la société Saveur Biere". Elle ajoute que "ces sites dits satellites comportent un grand nombre de fois le mot-clef “biere” indicatifs retenus par les moteurs de recherche pour élaborer le classement en page de résultats".

Et cela suffit à ce qu'elle entre en condamnation ! Selon elle, "ces techniques sont destinées à tromper les moteurs de recherche sur la qualité d’une page ou d’un site afin d’obtenir par un mot- clef donné, un bon classement dans les résultats de moteurs".
Reprenons : un moteur a une méthode de classement. Ceux dont l'activité en ligne dépend exclusivement de leur visibilité sur les moteurs au moyen de leur référencement naturel cherchent constamment à maintenir leur classement et l'améliorer. On peut donc former l'hypothèse que toute entreprise en ligne utilise des moyens ou des pratiques à cette fin.
Certaines de ces pratiques sont irrégulières : cela s'est vu en jurisprudence il y a déjà dix ans quand des titulaires de marques attaquaient ceux qui croyaient pouvoir utiliser ces marques dans leur code source (meta-tags). Les pratiques ont cessé quand les moteurs ont abandonné le recours aux méta-balises pour juger de la pertinence d'un site. Mais dès lors qu'il ne s'agit pas de se faire passer pour un concurrent ou d'utiliser ses signes distinctifs de façon irrégulière, pourquoi y aurait-il concurrence déloyale ?

Dans ce qui vient d'être écrit, remplacez "moteur" par "annuaire", et "entreprise en ligne" par "commerce physique". Ouvrez maintenant votre annuaire, et vous verrez que se bousculent au début de chaque rubrique des entreprises dont le nom commence par "A" (ou "AA" ou "AAA"). Que font-elles ? Elles rivalisent pour être les mieux classées. La technique est peut-être grossière, mais elle n'est pas interdite.

Alors pourquoi ne pourrait-on utiliser le SEO pour "booster son site" ? La Cour dit que "ces techniques sont destinées à tromper les moteurs de recherche". Soit. Mais dans ce cas, c'est au moteur de réagir - ce qu'il fait de deux manières, soit en déréférençant un site en particulier, soit en modifiant sa méthode d'indexation (et quand il le fait, on sait quel cataclysme cela déclenche...). Ce qui montre aussi que tout classement est aussi relatif et précaire.
S'agissant de Google, la chose est connue : plus il y aura de liens entrants, et plus cela peut permettre au site d'être visible (sachant qu'il ne s'agit pas du seul élément d'indexation pris en compte par Google : on estime, selon les sources, qu'il existe 100 à 400 critères pour le classement). Conséquence : les webmasters cherchent des liens, ou les créent eux-mêmes.
C'est ce qu'a fait, un parmi d'autre, la société critiquée ici : elle a, comme le dit la Cour, "multipli[é] la réservation de noms de domaine comportant à de nombreuses reprises le terme biere favorisant la création de liens orientant vers leur nom de domaine, le plaçant de ce fait en tête des moteurs de recherche". Et elle ajoute immédiatement, dans la même phrase, sans expliquer le lien de cause à effet, que "Julien L. et la SARL Saveur Biere ont commis des actes de concurrence déloyale en privant le site appartenant à Céline S., qui exerce dans le même secteur d’activité, d’être normalement visité".

Stupéfiant !
Juridiquement, le lien entre le fait dont il est soutenu qu'il est préjudiciable et le dommage doit être établi. Il n'est pas caractérisé ici : dans le cas de Google, le poids des liens entrants est fonction de la qualité du site où ils ont été inclus. Est-ce parce que la société Saveur Bière a bricolé des pages sous divers noms de domaine qu'elle a automatiquement été bien placée sur certaines requêtes ? S'il suffisait de faire cela, le SEO serait simple...!
Et surtout, les pratiques que la cour considère comme déloyales - enregistrer des noms de domaine contenant des mots-clé - sont extrêmement courantes. Dans un dossier sur les interactions entre noms de domaine et référencement publié par l'AFNIC, par exemple, il a été relevé que "l'on peut établir des liens immédiats entre l'achat de mots-clés dans le contexte d'une action de référencement et leur utilisation sous forme de noms de domaine". C'est un constat, parmi beaucoup d'autres, de ce que la pratique est généralisée.

Elle est si connue et répandue qu'on pourra même s'étonner de ce que l'entreprise à l'origine de l'action en justice ne l'a pas utilisée également. Ou alors l'utilisait-elle avec moins de résultat, ce qui l'a amenée à se tourner vers un tribunal ?
Et puis, cette décision rend-elle justice ? La société Saveur Biere est condamnée à supprimer les sites satellites, et à indemniser sa concurrente (10.000 €). Plaçons-nous quelques jours après la signification de l'arrêt : la société supprime les sites satellites, mais reste bien placée dans les moteurs... pour une raison qu'elle ignore, et qui tient au fonctionnement propre des moteurs. Devra-t-elle de nouveau être condamnée ? Cela reviendrait à être responsable du fait d'un tiers. Et, à relire l'arrêt critiqué, c'est bien ce que la Cour d'appel de Douai semble avoir fait : retenu la responsabilité d'un site du fait de la façon dont il apparaît sur des moteurs tiers, dont il n'a pourtant pas le contrôle.

 *
*     *

Sur le pur plan "noms de domaine", la Cour d'appel de Douai confirme ce qu'elle fut la première à juger, en 2002 : des entreprises concurrentes peuvent librement utiliser des noms génériques pour leur site. Ceux qui se souviennent de l'affaire "Bois Tropicaux" se rappellent qu'il avait été jugé qu'une entreprise peut utiliser le nom boistropicaux.com même si sa concurrente exploite déjà le même nom - à un tiret près - bois-tropicaux.com.
Ici, l'entreprise en demande exploite le nom selection-biere.com. Le gérant de la société attaquée avait enregistré avant cette exploitation le nom selectionbiere.com. La Cour estime, justement cette fois, que :
Attendu que le terme de sélection désigne l’activité du site qui offre un choix de produits proposés à la vente ; que le terme bière désigne le produit vendu ; que ces deux termes pas plus que leur association ne présentent de caractère distinctif par rapport à l’objet du site désigné, qu’ils évoquent en eux-mêmes, ni ne permettent l’identification d’une entreprise particulière ; que dans ces conditions, il ne peut être fait grief aux intimés d’en avoir fait usage ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a condamné Julien L. et à la SARL Saveur Bière à transférer à Céline S. le nom de domaine selectionbiere.com ;
Dès lors qu'elle accepte qu'il n'est pas anormal d'utiliser un nom de domaine "creux", on ne comprend pas pourquoi la Cour considère à l'inverse qu'il est irrégulier d'utiliser des pages "creuses". Oublions donc cet arrêt en le considérant comme une anomalie, et ne retenons donc de cet arrêt que la confirmation de ce que "le nom de domaine n’est pas couvert par un droit privatif et ne bénéficie donc pas d’une protection juridique spécifique ; que l’usage d’un tel signe est donc soumis à l’action en responsabilité délictuelle de droit commun régie par l’article 1382 du code civil, qui suppose la démonstration d’une concurrence déloyale par un usage excessif de la liberté du commerce par des procédés qui rompent l’égalité dans les moyens de la concurrence".

7 comments:

Anonymous said...

on ne peut être surpris par certaines décisions des juges du nord (douai,outr..,..) !
PATHETIQUES ...

LE MONDE said...

L'UMP pourrait donc agir contre le PS qui a crée 130 sites satelites ?


Hollande2012.fr. extraits du" monde"

"Acheter ce nom de domaine en 2007, c'était plutôt une gentille plaisanterie de fin de repas", plaide sur son blog encampagnevers2012.com l'anonyme qui se dit "effrayé par le retentissement de [sa] petite facétie". La garde rapprochée du candidat PS l'a menacé d'une action en justice. "Nous allons bientôt récupérer l'adresse", promet Vincent Feltesse, responsable de la campagne de François Hollande sur Internet. "Le PS a déposé au moins 130 noms de domaine ces derniers mois", précise-t-il. Preuve s'il en faut que la Toile est devenue un enjeu central.

CM said...

L'article ne dit pas que le PS a créé des sites satellites, simplement qu'il a enregistré des noms de domaine.

L'enregistrement par "grappes" de noms de domaine est une pratique courante, destinée à sécuriser le signe et à rapatrier les moutons égarés (ceux qui font des erreurs de saisie).

Anonymous said...

ou va t'on ? les juges qui se fondent sur google pour juger ...

ju et cathy said...

une question le juge a t-il préciser comment il devait supprimer les blog ? Une 301 me semble un bonne solution ....

wabstemer said...

Une question le juge a t-il indiquer la marche a suivre pour supprimer les satellites ? car une 301 peut être une bonne solution

CM said...

Non, le juge n'est pas allé à ce niveau de détail, et donc ne s'est pas prononcé pour une 301 !