December 13, 2012

Les noms de domaine après la fin du monde


Présentation effectuée hier soir, au titre sobre :)  Merci aux très nombreuses personnes qui se sont déplacées hier pour suivre les interventions de Me Olivier Itéanu, de Jean-François Poussard (sous la houlette de Me Fabienne Fajgenbaum), et pour le débat qui a suivi.

December 11, 2012

Droit des noms de domaine - Mise à jour n° 5

Rapports

3.5 millions de noms de domaine en IDN ont été enregistrés en deux ans, selon un rapport UNESCO-EurID qui revient sur leur déploiement.
Le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française salue la possibilité d'enregistrer des IDN dans la zone .fr (pp. 45-47). Ce rapport souligne aussi, à juste titre, que "la question du nommage sur l’internet est au confluent de multiples enjeux, tant économiques, juridiques, que sociétaux".
Il souligne aussi le dynamisme du .fr, ce que fait également la Bibliothèque Nationale de France dans son rapport de l'Observatoire du Dépôt Légal (p. 27), lequel représente la grande majorité des noms de sites qui ont été archivés - sachant que la BNF distingue les noms de domaine au troisième niveau (4.381.038 en .asso.fr, plus de 2.000.000 en .blogs.fr, plus de 1.800.000 en .gouv.fr, etc.). La BNF a pour mission de conserver l’ensemble des sites enregistrés sous le TLD français, ainsi que les sites ayant une autre extension mais édités par des personnes physiques ou morales domiciliées en France (et encore les publications produites sur le territoire national même si elles sont diffusées par une société étrangère).

§ 260

Quant à ce rapport d'un centre de recherche sud-américain, il présente les divers modes de gestion des ccTLDs (prenant principalement des exemples du continent) et souligne la nécessité de protéger les noms de domaine en tant que moyens d'expression. Une remarque d'autant plus censée qu'elle est formulée dans un contexte d'accélération des saisies ou suppressions de noms de domaine.

§ 257

Saisies, suppressions & suspensions sauvages de noms de domaine

Le registre du .es a proposé à des suppressions-réattributions de noms de domaine, pudiquement baptisées "reasignación". La loi lui donnant la possibilité de reprendre des noms dans l'intérêt général,  le registre Red.es a commencé à mettre en oeuvre ses prérogatives. Le titulaire spolié sera remboursé des frais d'enregistrement, et a la possibilité d'attaquer la décision... La personne privée d'un nom devra donc supporter des coûts, élevés, de contestation. La charge est si lourde que l'on se demande si une personne lésée en viendra effectivement à exercer un recours suite à "expropriation".

§ 139

Au Gabon, le registre a procédé, sans justification ni préavis, à l'éradication du nom me.ga. Je répète : sans justification ni préavis.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, il est jugé qu'un nom de domaine peut être protégé au titre de la liberté d'expression, sur le fondement du Premier Amendement. Un avocat a ainsi pu faire échec à une loi texane s'opposant à l'enregistrement de son nom texasworkerscomplaw.com.

§ 257

Sur la (simple) demande d'un procureur belge, le registre en charge du .eu a suspendu divers noms de domaine utilisés en relation avec des sites de téléchargements, tels que sceper.eu, downextra.eu, watchseries.eu ou channelcut.eu (TorrentFreak). Il suffit donc qu'une autorité ici ou là montre les dents pour que les registres doivent intervenir sur des noms ? Le droit ne le permet peut-être pas, mais les faits montrent qu'ils s'exécutent... Et ils le font même sur la base d'une décision américaine (voir mon billet précédent et sa mise à jour sur les saisies effectuées en Europe suite à une injonction venue de l'autre côté de l'Atlantique).


Qualification & sanctions

L'Allemagne avait ouvert la voie il y a de nombreuses années : le transfert d'un nom de domaine ne peut être la solution dans un contentieux fondé sur le droit des marques. Les juges allemands ont, très rigoureusement, estimé que le respect du principe de spécialité ne permet, au mieux, que d'interdire au titulaire du nom d'exploiter celui-ci relativement à des produits ou des services couverts par la marque du demandeur. La France suit encore trop timidement. La cour suprême de la République Tchèque vient de s'y mettre à son tour.

§ 309

Les tenants de la qualification du nom de domaine comme objet d'un droit de propriété pourront trouver un argument nouveau dans l'arrêt Used Soft rendu par la CJUE, qui a tenu compte de la portée économique d'une licence (en l'occurrence relative à un logiciel) pour considérer qu'elle donnait lieu à un transfert de propriété.

§ 244

Enième décision dans un contentieux touchant à la protection de la dénomination "pages jaunes", devant les juridictions européennes, qui ont aussi eu à connaître d'une demande d'enregistrement d'une marque PHOTOS.COM. Ce dépôt a été fort logiquement refusé (T-338/11), les juges ayant notamment relevé :

que la marque demandée "est composée du terme « photos », qui constitue l’abréviation informelle du mot « photographie » en français, ou « photograph » en anglais, au pluriel, et de l’élément « .com », qui constitue l’extension d’un nom de domaine en tant que domaine générique de premier niveau". Il en est déduit que "le signe en cause reproduit la structure caractéristique d’un nom de domaine et sera perçu comme tel par le public pertinent" (point 21)
"Quant à l’élément « .com », force est de constater qu’il sera immédiatement reconnu par le public pertinent comme renvoyant à un site Internet. À cet égard, il y a lieu de relever, à l’instar de l’appréciation de la chambre de recours, qu’il s’agit d’un élément technique et générique dont l’utilisation est nécessaire dans la structure normale de l’adresse d’un site Internet à caractère commercial. En outre, l’élément « .com » peut également servir à indiquer que les produits et les services visés par la demande de marque peuvent être obtenus ou consultés en ligne ou sont liés à l’internet. Dès lors, il y a lieu de considérer que l’élément en question est également dépourvu de caractère distinctif par rapport aux produits et aux services concernés" (point 22)
En lisant ceci, on peut se demander si les juges se seraient prononcés pareillement en présence d'une marque se terminant en .fr ou en .museum, par exemple. Ou ce qu'ils feront face à une marque reprenant l'extension de l'un des nombreux gTLDs créés d'ici 2014. Quoiqu'il en soit, les juges ne se sont pas arrêtés là, et encore dit :

que "ledit signe ne possède pas de caractéristiques, notamment graphiques, particulières, dès lors que l’utilisation d’un point est usuelle pour séparer le domaine de deuxième niveau du domaine de premier niveau" (§ 25)
"dans un nom de domaine, la partie distinctive n’est pas le domaine de premier niveau, qui est générique, mais le domaine de deuxième niveau, lequel, en l’occurrence, est dépourvu de caractère distinctif" (§ 26)
"En l’espèce, bien que la marque demandée remplisse également la fonction d’indication d’un nom de domaine, il échet de constater que, premièrement, eu égard aux caractéristiques du signe demandé, en particulier sa structure, l’absence de caractère distinctif de ses composantes et le fait qu’il s’agit d’une marque verbale, le signe demandé sera perçu d’emblée par le public pertinent comme étant le nom de domaine correspondant à un site Internet où des photos peuvent être téléchargées et non comme désignant l’origine commerciale des produits et des services concernés. Cette appréciation est renforcée par le fait que le consommateur moyen n’étant que raisonnablement attentif, si le signe ne lui indique pas immédiatement l’origine du produit ou du service désigné, mais ne lui donne qu’une information purement promotionnelle et abstraite, il ne prendra pas le temps de s’interroger sur les différentes fonctions possibles du signe ou de le percevoir comme étant une marque (§ 31)
Ici aussi, on peut s'interroger : le public pertinent auquel semblent se référer les juges est celui qui va sur internet. Or il existe des enseignes physiques qui adoptent une enseigne se terminant par .com sans avoir le nom de domaine correspondant (exemple). Déposer une marque se terminant ainsi, mais sans l'utiliser sur internet, ne pourrait-il faire échec à l'opinion ici exprimée ?
"il convient d’opérer une distinction entre les droits tirés de l’enregistrement d’un nom de domaine, d’une part, et les droits tirés de l’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire, d’autre part. Ainsi, le fait que la requérante possède le nom de domaine « photos.com » n’implique pas que ledit nom puisse, de ce fait, être enregistré en tant que marque communautaire" (§ 32)
Il aurait été intéressant que le tribunal en dise plus sur le contenu de ces "droits tirés de l'enregistrement d'un nom de domaine" ! 
"L’argument avancé par la requérante selon lequel le fait que la saisie du seul nom du signe en cause dans tout navigateur Internet, sans qu’il soit nécessaire de saisir l’adresse électronique de son site, permette aux consommateurs d’être dirigés vers son site www.photos.com et d’accéder aux produits et aux services proposés, démontre que ledit signe fonctionne comme un indicateur de l’origine commerciale desdits produits et services doit être écarté comme non fondé. En effet, le caractère distinctif d’une marque qui, en l’espèce, correspond à un nom de domaine, ne saurait être apprécié par rapport aux modalités d’accès par un internaute aux produits et aux services couverts par la demande de marque et disponibles sur Internet, mais (...) par rapport aux produits et aux services pour lesquels l’enregistrement a été demandé, d’une part, et à la perception du public pertinent, d’autre part. Par ailleurs, l’argument de la requérante doit, en tout état de cause, être écarté comme inopérant dans la mesure où il ne remet nullement en question l’affirmation de la chambre de recours selon laquelle le signe en lui-même ne permet pas d’identifier l’origine commerciale spécifique des produits et des services désignés, dès lors qu’il sera perçu par le public pertinent comme constituant une source d’information pour des produits liés à la photographie accessible par Internet" (§ 33)
§ 56

Dans une décision rendue en Belgique le 30 octobre, il a été jugé que "l'usage du prénom et du nom de l'enfant comme nom de domaine ressortit de [l']autorité parentale, et ne peut donc être décidé que conjointement par les deux parents".


ccTLD

Nominet, registre du Royaume-Uni, prévoit d'ouvrir les enregistrements directement au second niveau alors que jusqu'ici il fallait le faire en .org.uk, .co.uk, etc. Une consultation a été ouverte, qui a donné lieu à des commentaires très argumentés.


.FR

Le .fr compte désormais 2,5 millions de noms de domaine (AFNIC). Depuis la mise en oeuvre de la procédure Syreli le 21 novembre 2011, le registre a rendu 138 décisions (communiqué). Maintenant qu'elle a un an d'existence, l'argument de son inopposabilité ne peut plus être soulevé.

Par une décision significative, le Tribunal Administratif de Versailles a jugé le 19 novembre 2012 que l'AFNIC "doit être regardée comme exerçant une mission de service public". Le juge a observé qu'elle a le pouvoir, en qualité d’offìce d’enregistrement, en application des (nouvelles) dispositions du code des postes et des communications électroniques, de supprimer ou de transférer des noms de domaine de sa propre initiative quand le titulaire du nom du domaine ne répond pas aux prescriptions qui ont été fixées, ce qui est caractéristique des prérogatives de puissance publique. Cette décision confirme donc la soumission des normes du registre aux principes du droit public.

§ 85

Nouveaux TLDs

Les candidats sauront le 17 décembre dans quel ordre l'ICANN examinera les candidatures à de nouveaux domaines. Un tirage au sort sera effectué (plus d'infos). Pendant ce temps, les méthodes d'enchères (qui permettraient de départager plusieurs candidats à un même nom) commencent à faire l'objet d'une analyse comparée.
Alors que l'on prédisait des conflits multiples (et je me compte dans ce "on"), il n'y a étonnamment pas eu encore de Legal Rights Objection, mécanisme prévu pour signaler, de façon formelle, qu'un projet de domaine de premier niveau porte atteinte à certains droits. En revanche, plus de 200 réactions émanant d'Etats ont été émises par le canal des early warnings. Il s'agit d'inviter les candidats à "s'expliquer" sur leur projet. Parmi les critiques qui ont pu être faites, on trouve régulièrement celles relatives à la fermeture de l'extension sollicitée, le porteur de projet n'ayant pas prévu de laisser des tiers y enregistrer des noms de domaine. D'autres critiques mettent en lumière l'absence de garanties fournies par le porteur de projet, ou l'absence de légitimité à l'égard de la communauté dont il se revendique. Le gouvernement français a émis une vingtaine de warnings, par exemple relatifs aux projets de .hotel ou .hotels : première destination touristique au monde, la France aimerait que ces domaines soient réservés aux seuls hôtels.
La candidature pour le .africa a suscité une saisine du médiateur de l'ICANN (Ombudsman), qui a conclu qu'il n'existait pas de conflit d'intérêts dans l'affaire qui lui était soumise.

A l'instar des traités internationaux relatifs aux marques qui protègent les signes olympiques et ceux de la Croix Rouge, l'ICANN s'oriente vers cette même protection dans le cadre des nouveaux gTLDs.

§ 108, § 109, § 139

Pendant ce temps, les internautes continuent d'être massivement ignorants des grandes manoeuvres en cours dans le secteur du nommage : 74 % d'Américains sondés ne sont pas au courant.


Autres

Le contrat de renouvellement de sa mission par Verisign prévoit que cette société ne pourra pas augmenter le prix brut des noms en .com.

November 27, 2012

Première saisie de nom(s) de domaine en France, premières questions

L'info est encore passée inaperçue et pourtant elle est de taille : les autorités françaises procèdent à des saisies de noms de domaine !

L'affaire démarre de la vente de produits contrefaisants sur divers sites web. La plupart ont des adresses en .com, d'autres des noms de domaine en .be, .dk, .eu, .fr, .ro et .uk. Si un nom de domaine en .fr sert à la commission d'infractions au droit de la propriété intellectuelle, peut-il être saisi comme un véhicule qui passerait des faux sacs à main à la frontière franco-italienne ? Les autorités françaises viennent de répondre OUI.

Participant à une action conjointe avec l'I.C.E. (les Douanes américaines), Europol et d'homologues d'autres d'Etats européens, les autorités françaises ont saisi un ou plusieurs noms de domaine en .fr. Le nombre n'est pas connu (on sait simplement que cela représente 31 noms hors Etats-Unis), pas plus que d'autres détails... ce qui ne laisse pas d'intriguer - ou d'inquiéter !

Reprenons : l'administration américaine a choisi depuis quelque temps le vecteur des noms de domaine pour bouter hors du web des activités illicites (musique en ligne, casinos, streaming d'épreuves sportives...). Sa capacité juridique à le faire reste pourtant à établir... Par deux fois en effet, deux noms de domaine qu'elle a fait saisir ont été restitués à leur ancien titulaire, sans motif ni excuse (il s'agit des noms dajaz1.com et rojadirecta.com).

Cette fois - et c'est visiblement la première fois -, elle va plus loin et invite des cousines à l'accompagner dans l'opération. Ce qui a donc été accepté en France. Par qui ? Le communiqué de l'I.C.E., seule source depuis hier (sachant que l'I.C.E. n'est jamais bavarde sur ses raids), ne le dit pas. S'agit-il des Douanes ?

La réponse à cette question permettrait aussi d'identifier le fondement juridique sur lequel la saisie a été opérée. S'il s'agit des Douanes, se pose la question de savoir si les noms de domaine entrent dans le champ d'action de cette administration. Car a priori elles ne peuvent saisir que des "objets" ou des "marchandises", et les noms de domaine n'en sont pas ! Lecture extensive, ou erronée ? (cela étant dit, je ne suis pas un spécialiste du Code des Douanes et serais heureux d'avoir des éclaircissements) Ou autre texte que le Code des Douanes ?
Connaître le fondement juridique permettrait tout simplement de pouvoir apprécier... la légalité même de la saisie d'un nom de domaine associé à la vente de produits contrefaisants.

Car on peut douter que saisir un tel nom de domaine soit une mesure proportionnée ou efficace !

S'agissant de l'efficacité, la page à laquelle conduisait le nom reste normalement accessible à qui connaît l'adresse IP de celle-ci. Certes, on pourra objecter qu'y accéder n'est pas à la portée du premier venu, et observer que le communiqué de l'I.C.E. évoque des internautes qui ne se doutaient pas qu'ils avaient à faire à un site de contrefaçon (comprendre : ils ne sont pas bien malins !).

S'agissant de la proportionnalité de la mesure (mais dans de tels raids s'embarrasse-t-on de proportionnalité ?), se pose la question de l'articulation entre son effet et sa cause. Saisir un nom de domaine empêche de pouvoir l'utiliser à l'échelle du globe... alors que la violation de droits de propriété intellectuelle se constate au regard du droit d'un Etat en particulier. Autrement dit :

  • si le nom en .fr était utilisé en langue anglaise, se pose, au vu de la jurisprudence dégagée en droit de l'internet, la question de la compétence territoriale des autorités françaises pour intervenir,
  • et si ce nom était utilisé en français et destiné au public de France, on espère que ce n'est pas seulement parce qu'il y avait constat de violation du droit aux (seuls) Etats-Unis qu'on a procédé à sa saisie ! Sinon, cela signifierait que les pouvoirs publics participent sciemment à l'application d'un droit étranger à l'intérieur des frontières françaises.

[MAJ, 3 h après la première publication : le DG de l'AFNIC indique sur Twitter que le(s) nom(s) en .fr n'ont pas été saisis au niveau du registre. L'ICANN renvoyant à ses délégataires en cas de saisies, c'est donc que celle relative au(x) nom(s) français s'est faite au niveau inférieur, celui du registrar. Dans l'hypothèse où ce registrar n'est pas établi en France, les autorités françaises n'auraient pas été mobilisées, ce qui remettrait en cause une partie de ce que j'ai écrit ci-dessus]

[MAJ, 11/12/12 : voici une liste de quelques uns des noms saisis (avec remerciement appuyés à ma source) : hermesborse.eu, longchamppliagesac.eu, sachermesbirkinpascher.eu, buyhermesbirkinaustralia.eu, nikeatalon.eu, sarenzalando.eu, chaussurevogue.eu, louboutinpascherfrancesoldes.eu, buy-replica.eu, femmechristianlouboutin.eu, eshopreplica.eu, chaussuresfoot.be]


November 26, 2012

Noms de domaine : un droit en mouvement (Paris, 12 décembre)



Le 12.12.2012, la Commission Ouverte Propriété Intellectuelle du Barreau de Paris consacrera sa réunion aux noms de domaine et leur droit étrange. Si vous avez essayé de vous inscrire, cela vous a peut-être été refusé, faute de place.
Bonne nouvelle : devant l'affluence, l'Ordre des Avocats a libéré l'auditorium de la Maison du Barreau afin de pouvoir accueillir plus de monde !
Pour vous inscrire, cliquez sur l'affiche ou ici.

November 07, 2012

Vente aux enchères de noms de domaine

Il fut une époque où il suffisait (presque) de se baisser pour récupérer les noms de domaine. C'était après l'explosion de la bulle internet, aux Etats-Unis, quand les noms de domaine expiraient après les banqueroutes multiples d'entreprises surcotées.
S'il est encore trop tôt pour y voir un frémissement des activités numériques, voici que l'on observe en France plusieurs ventes aux enchères de noms de domaine.

Placée en liquidation judiciaire fin 2010, la firme Vogica vit ses actifs immatériels mis aux enchères. C'est ainsi que les noms de domaine vogica.com et vogica.fr furent revendus dans un lot incluant aussi des marques.

Dans une semaine, une série de noms de domaine des sociétés Groupe Matelsom et Heuliez seront à leur tour mis aux enchères (dans les locaux de l'UNIFAB). Dans les lots, on trouve :
- meuble-discount.fr, meubles-discount.fr, mobilier-discount.com, canapes-discount.com
maison-et-literie.com, meuble-et-literie.com, mobilier-et-literie.com, mobilierliterie.com, mobilier-literie.com, destockliterie.com, destock-literie.com
paris-literie.com, paris-literie.fr, paris-matelas.com, paris-matelas.fr
france-matelas.com, matelas.net, matelas.org, imatelas.com, 01matelas.com, 0800matelas.com, 0800-matelas.com
securepaiement.com, securepaiement.net, securepaiement.org
service-livraison.com, service-logistique.com,
rapidlit.com, rapidlits.com

Et dans un mois, il sera aussi possible d'enchérir sur les noms parapharmacie.fr et parapharmacies.fr (cette fois à Tours). La mise à prix est de 50.000 €. On lira avec intérêt l'argumentaire commercial déployé à l'occasion de cette vente, qui témoigne de ce que la compréhension de la valeur de noms de domaine commence à toucher le grand public.

Et si l'on est un peu goguenard, on s'étonnera de ce que personne n'a encore jamais évoqué, en matière de noms de domaine, la responsabilité des intermédiaires de courtage "physiques" que sont les commissaires-priseurs, alors pourtant que les places de marché en ligne faisant ce métier ont elles déjà été poursuivies en justice...

October 24, 2012

Registrars et registres : des espèces protégées

C'est un sujet qui ne devrait plus être débattu depuis longtemps, et que la cour d'appel de Paris vient définitivement de clore : les registrars ou les registres ne peuvent être tenus responsables des enregistrements de noms de domaine qui sont faits auprès d'eux.

EuroDNS et l'AFNIC étaient poursuivies par Air France, Gervais Danone, France Télévisions, Michelin, Lancôme, L’Oréal, Renault et Voyageurs du Monde parce qu'avaient été réservés, par des tiers, des noms de domaine très proches de marques que ces sociétés détiennent, comme lancom.fr ou michlin.fr. Ces marques étant particulièrement connues, leurs titulaires prétendaient que le registrar avait une obligation de contrôle (de "filtrage", est-il même écrit dans la décision) et devait être tenu responsable d'avoir permis qu'ils soient réservés. Contre le registre, les mêmes titulaires de marques soutenaient qu'ils devaient prendre des mesures particulières - telles que gel ou blocage des noms - dès lors qu'il était informé que ceux-ci pouvaient potentiellement être illicites. L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 19 octobre a la forme d'un camouflet pour les demandes ; les juges confirment ainsi la neutralité des intermédiaires (le terme "neutralité" ne figure pas dans la décision).

Vous pourrez lire aujourd'hui sur dalloz.fr mes observations sur cette décision.

§ 419

October 22, 2012

La saisie-vente des noms de domaine pour se faire payer


Par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris


La saisie du nom de domaine megaUpload.com en janvier 2012 a donné lieu à de nombreux commentaires, notamment sur deux points :
1.      le lien entre noms de domaine et territoire physique. Il est aujourd'hui clair que, contrairement à ce que certains ont pu croire, le .com n'est pas dans le "cyberespace". C'est une base de données gérée par un registre, la société VeriSign, basée à Reston en Virginie, États-Unis ;
2.      la vulnérabilité des noms de domaine vis-à-vis d'une saisie. Dans le cas de MegaUpload, il a suffi aux autorités américaines d'aller voir VeriSign non seulement pour empêcher l'accès au service mais aussi pour le faire savoir en reroutant le trafic vers une page annonçant la saisie.

Malgré l'émoi et les nombreux commentaires, le cas MegaUpload est cependant extrême : les titulaires de noms de domaine qui peuvent craindre une saisie étatique afin de bloquer un service, dans le cadre d'une action pénale, sont a priori une infime minorité. Mais un autre type de saisie est possible, touchant un bien plus grand nombre de gens sans que, pour l'instant, il ne semble avoir donné lieu à beaucoup de débat ni même à des mises en pratique : c'est la saisie par des créanciers, afin de vendre les noms de domaine d'un débiteur récalcitrant à payer sa dette.
En effet, il est clair qu'un nom de domaine comme myspace.com par exemple a une valeur excédant largement les quelques euros qu'ont coûté son enregistrement puis son renouvellement. Dans le cas de MySpace, cette valeur est non seulement liée au service de musique auquel il est actuellement associé (et que chacun s'accorde à juger sur le déclin), mais aussi à la signification du nom lui-même ("Mon Espace") qui permet de l'associer à virtuellement n'importe quel type de services. Aux début des années 2000, MySpace était d'ailleurs une sorte d'ancêtre de MegaUpload, particulièrement populaire pour le partage de fichiers pirates (warez) etaujourd'hui complètement oublié. Même des noms de domaine bien moins connus que myspace.com ont une valeur certaine, du fait du trafic généré et/ou fidélisé.


Or, si la loi ne prévoit pas expressément la saisie des noms de domaine en vue de leur vente forcée par le créancier du titulaire, elle permet la saisie et la vente des droits incorporels, autre que les créances de
sommes d'argent, dont le débiteur est titulaire
(art. L. 231-1 du Code des procédures civiles d'exécution). Un nom de domaine est manifestement un tel droit incorporel.
Au niveau de la procédure, et faute encore une fois de précision dans la loi, la logique est que l'huissier muni de son titre (c'est-à-dire de la décision de justice condamnant le titulaire du nom de domaine à payer certaines sommes) pratique une saisie là où cette mesure est utile afin de bloquer le nom. C'est donc soit auprès du registre soit auprès du bureau d'enregistrement du nom de domaine qu'il convient qu'il se rende afin de délivrer son procès-verbal qui gèlera le nom de domaine dans l’attente de sa vente. C'est ce qu'on appelle une saisie entre les mains d'un tiers (par rapport au débiteur) en langage juridique.


Se pose bien sûr la question de la localisation de ce tiers : s'il se trouve à l'étranger
(par exemple VeriSign), il n'a aucune raison de se plier aux injonctions d'un huissier français, tout muni qu'il soit d'une décision de justice française. Cependant, il n'est pas rare en pratique que les titulaires français de nom de domaine aient soit un bureau d'enregistrement français (OVH par exemple) soit un registre français s'ils ont enregistré un .fr (géré par l'AFNIC). Dans le cas de MegaUpload, c'était le registre qui était américain, le bureau étant canadien.
Une fois la saisie pratiquée et validée, viendra le moment de la vente aux enchères. Faute pour la loi de préciser le lieu et la façon dont cette vente doit se tenir, pourrait-elle être organisée sur une plateforme de courtage spécialisée type Sedo ? Ce serait la solution la plus économique et celle permettant très certainement d'obtenir le prix le plus élevé.


Mais si le nom de domaine a réellement une valeur et est essentiel à l'activité de son titulaire, il est probable que celui-ci aura acquitté sa dette s'il en a la capacité ou aura pris des engagements en ce sens bien
avant cette vente, afin de l'éviter. Ce qui fait de la saisie des noms de domaine une excellente procédure d'exécution, c'est-à-dire une procédure qui incite le débiteur au règlement volontaire de ses dettes.

October 15, 2012

Droit des noms de domaine - Mise à jour n° 4

Saisie de noms de domaine
On savait que les Etats-Unis saisissaient de manière sommaire des noms de domaine. On apprend qu'il arrive aussi qu'ils en revendent certains ! Voilà une solution pour les finances publiques : revendre des choses obtenues gratuitement...

Nouveaux gTLDs :
Si vous ne vous y retrouvez plus dans les annonces successives, voici un calendrier clair (mais peut-être trop précis !) de leur lancement. Evoluera-t-il à Toronto, alors que l'ICANN y tient sa 45ème réunion ? En tout cas, des changements peuvent intervenir dans les candidatures mêmes : la correction des dossiers est possible à certaines conditions. Certains ont déjà commencé : 57 dossiers ont été modifiés dès le mois dernier (et 7 candidatures retirées). A suivre.
Pendant plusieurs semaines, il était possible de faire des commentaires sur les candidatures ; il y en a plusieurs milliers (plus de 11.000)... mais aucune objection formelle encore ! Au moins l'un de ces commentaires a suscité une réaction chez un candidat, qui a demandé à l'ICANN de le retirer de son site. Mais la véritable phase d'intimidation commencera un peu plus tard... C'est plutôt dans la presse que les débats se tiennent, qui portent sur la privatisation des noms communs par des grandes sociétés : des mises en garde ont été lancées par une association de consommateurs (voir aussi sur le même sujet le blog de l'IGP). Du côté des registrars, on s'inquiète plutôt du fonctionnement en mode fermé de certains domaines appelés à naître.
Pendant ce temps, un nouvel appel à commentaires relatif à la Trademark Clearinghouse a été lancé par l'ICANN. Une entité a publié un livre blanc circonstancié sur l'ensemble des difficultés juridiques ou techniques qu'elle soulève à ses yeux.
Surfant sur la vague, un micro-Etat "toilette" son .pw pour lui faire signifier professional web.

§ 108

Noms génériques
A l'occasion de la sortie d'un livre sur Xavier Niel, historiquement l'un des premiers domaineurs en France, on se remémore que France Télécom faisait la police des codes télétel et on se dit que le régime juridique des identifiants électroniques a quand même un peu évolué :
3615 BAC94 et 3615 BAC95, « retirés moins d’un mois après (…) par France Télécom, chargé de l’attribution des codes Minitel. 3615 BAC96 et 97 de même que 3617 BAC96, BAC97, BAC98 et BAC99, attribués en août 1993, connaissent le même sort un peu plus tard. Motif avalisé par le Comité de la Télématique Anonyme (CTA) : « ces codes(sont utilisés) pour un service de messagerie conviviale ou des services non interactifs ». C’est pousser un peu loin l’enrichissement des connaissances des bacheliers ! »"
L'Institut Pasteur ne peut revendiquer pasteurs.fr, utilisé pour créer un "réseau francophone de pasteurs dans le monde" (Syreli 00162). On se rappellera que le même Institut avait pourtant renoncé, il y a déjà douze ans, à revendiquer pasteur.net... A noter aussi que pasteur.fr (au singulier) fit partie de la liste des termes "fondamentaux" dont l'enregistrement fut longtemps interdit.

§ 144

Confirmation de la jurisprudence selon laquelle l'utilisation d'un nom de domaine descripteur n'est pas de la concurrence déloyale si une autre société utilise déjà un nom générique proche. En l'occurrence une société utilisant chambres-et-literie.fr reprochait à une autre d'utiliser en redirection chambreset-literie.com, toutes deux ayant une activité similaire. Emmanuel Gillet rapporte que, dans un arrêt rendu à Versailles le 17 juillet 2012, il a été jugé à propos du nom de domaine qu'il consiste en
"la juxtaposition d'un article et de mots du langage courant" et "évoque l'objet même de son activité sur internet, peu important qu'elle ne vende aucun mobilier ou des objets de décoration pour la chambre, la literie se rapportant nécessairement à la chambre dans l'esprit du consommateur".
Pas de sanction, donc, avec ce contentieux qui rappellera celui ayant existé entre armoirelit.com et armoire-lit.com.

§ 378

Retour du serpent de mer de la protection du nom des collectivités territoriales à l'Assemblée Nationale, avec une proposition de loi dont les motifs sont en partie erronés en ce qu'ils parlent d'une "exclusivité dont elles bénéficient pour le dépôt de leur nom en « .fr » sur internet"

§ 141

Sous-domaines
co.no : une société vend des sous-domaines rattachés au co.no qu'elle détient. Cela est source de confusion, selon le registre norvégien Norid, qui a attaqué et présente le jugement sur son site.
kids.us : cette extension singulière avait été créée sur intervention législative. Cette greffe publique n'aurait-elle pas pris dans l'univers privé qui caractérise les noms de domaine ? En tout cas, le kids.us a été suspendu. De son côté, Nominet, registre vendant du .co.uk, du .org.uk et autres, songe sérieusement à désormais autoriser l'enregistrement directement en .uk.

§ 146

Cession de nom de domaine
Conséquence logique de l'existence de l'obligation d'information : en cédant un nom de domaine, il faut indiquer à l'acquéreur si ce nom a été précédemment bloqué par Google. Un contentieux est en cours aux Etats-Unis à ce sujet.

UDRP
Le népotisme semble se poursuivre au National Arbitration Forum. Une étude pointe pour la deuxième fois que la majorité des décisions est rendue par une poignée d'arbitres (lire ici ou ici).
Il semble qu'un demandeur a sollicité le retrait d'un site web de la copie de la requête UDRP qu'il avait faite, pour violation de droit d'auteur.

Contentieux international
"L'exploitation d’un nom de domaine belge identique à une marque française ne constitue pas un acte de contrefaçon si le site internet auquel il est relié, bien qu'accessible sur notre territoire, ne vise pas directement le public français" (Paris, 2 mars 2012)

§ 309

Cybersquatting
Sanction logique de la personne qui a enregistré et cherchait à revendre les noms (parqués) cheriehd.net, cherie-hd.com, cherie-hd.net, cherihd.fr et cheri-hd.fr le 7 avril 2011, soit deux jours après la publication d’un communiqué de presse sur le lancement de la chaîne ChérieHD (TGI Nanterre, 28 juin 2012).

.FR
"Sécuriser les noms de domaine", un document (de grande qualité) regroupant les conseils de l'AFNIC.
Le parking d'un nom de domaine en .fr peut n'être pas illicite, selon l'AFNIC, s'il "renvoie vers une page parking dont les liens hypertextes n'ont pas de lien avec les classes d'enregistrement de la marque" du demandeur (Syreli 00153). Pour l'anecdote, l'affaire portait sur un nom comptant un caractère accentué, décorial.fr.
La Bibliothèque Nationale de France a obtenu du registre la liste complète des noms en .fr, qui sera utile à sa mission d'archivage. Réflexe de juriste : certains noms de domaine pouvant être qualifiés de données personnelles, on se demande comment a été rédigée la convention de mise à disposition de ces ressources !

§ 263

September 29, 2012

Condamnation de la Ville de Paris - le jugement

100.000 $ de dommages-intérêts augmentés de 26.830 $ de frais de justice. Quand une condamnation à une somme si élevée est prononcée en matière de nom de domaine, c'est en général contre un cyberquatteur aux agissements particulièrement frauduleux. La personne qui vient d'être condamnée à payer 126.830 $ par une juridiction du Texas est pourtant respectable et honorablement connue : il s'agit de... la Ville de Paris !

La commune avait engagé une action UDRP pour obtenir le nom parvi.org, sur le fondement de son droit sur la marque PARVI PARIS VILLE NUMERIQUE. Elle avait obtenu gain de cause, par une décision contestable dans l'appréciation du risque de confusion et surtout de la mauvaise foi du titulaire du nom lors de l'enregistrement. Après avoir observé que demandeur et défendeur ne se trouvaient pas dans le même Etat et ne parlaient pas la même langue, l'arbitre avait exprimé ses doutes sur le fait que le titulaire du nom pouvait connaître la marque de son adversaire... mais avait malgré cela prononcé le transfert (!).

On ne compte plus le nombre de décisions UDRP trop sommaires, peu convaincantes ou carrément irrégulières. On sait en revanche que sur un volume d'environ 35.000 décisions à ce jour, une cinquantaine seulement ont fait l'objet de recours.
C'est cette rare démarche qu'a entreprise le défendeur ici, après s'être vu privé de son nom. Devant une juridiction texane - compétente en application de la clause de mutual jurisdiction prévue dans les règles UDRP -, l'ex-titulaire de parvi.org a expliqué comment il en était venu à choisir ce nom utilisait en latin (§ 13 à 16 de sa requête), qu'il était ignorant de l'existence de la marque PARVI PARIS VILLE NUMERIQUE enregistrée en France, et qu'il n'utilisait pas encore parvi.org à des fins commerciales quand le contentieux a débuté.

Il fut d'autant plus aisé de convaincre le juge de l'inanité de la décision de transfert que... la Ville de Paris n'a pas jugé nécessaire de se défendre en l'espèce ! C'est ainsi que le juge américain a prononcé, par défaut, une condamnation retenant des faits de reverse domain name hijacking et de tortious interference, et infligé une pénalité approchant les 100.000 € (jugement sur le site de l'OMPI).

La sévérité de la décision est à la hauteur de son importance. Alors que le contentieux marques / noms de domaine tournait presque toujours à l'avantage des premières, c'est un retour de balancier. L'existence d'un droit de marque ici ne doit pas empêcher là l'enregistrement et l'utilisation d'un nom de domaine. Le jugement qui vient d'être rendu pourrait inciter à l'avenir ceux qui perdent des actions UDRP (et leur nom de domaine) à former plus systématiquement des recours.

Quant à la Ville de Paris, puisqu'elle ne s'est pas présentée à l'audience ni n'a daigné répondre dans la procédure américaine, on pourrait se demander si elle paiera effectivement l'indemnisation qu'elle doit désormais. Les contribuables lui sauraient probablement gré de s'abstenir... néanmoins cela pourrait avoir à terme des conséquences fâcheuses : la saisie du patrimoine qu'aurait la municipalité sur le sol américain. Peut-être n'en a-t-elle pas ? Dans ce cas, on peut imaginer que le créancier fasse saisir aux Etats-Unis... le futur gTLD auquel candidate la Ville, le .PARIS ! On rappellera qu'il y a déjà eu des tentatives de ce genre devant l'ICANN.

§ 54

September 07, 2012

Noms de domaine – Questions d’actualité

C'est la rentrée ! Dans les prochaines semaines, l'actualité juridique des noms de domaine sera toujours plus chaude :

  • les nouveaux TLD, bien sûr, et le lot des questions qui vont avec (objections, acceptation des candidatures, sauvegarde des marques...),
  • la place grandissante du droit public dans le droit des noms de domaine en France,
  • les procédures de saisies de noms de domaine, qui commencent à montrer quelques fissures,
  • et le rôle croissant des noms de domaine dans la régulation de l'internet tout entier !

Il est donc temps de faire un point sur ces questions !
Ce sera le cas le mardi 25 septembre, à Paris, sous les auspices de l'ADIJ.

Lors de cette matinée, Valérie-Laure BENABOU montrera en quoi les mutations des noms de domaine correspondent aux mutations de l'internet tout entier. Patrick HAUSS fera un point sur les noms de domaine - notamment comment protéger ses marques - et sur cette nouvelle invention qu'est la Trademark Clearinghouse. Je serai présent également, et aborderai d'autres sujets d'actualité en matière de noms de domaine (en particulier les saisies).

[MAJ 20 septembre 2012 : le panel s'étoffera avec la présence de Me Eric Albou, Huissier de justice, qui interviendra sur le thème Voies d'exécution et noms de domaine]

Pour découvrir le programme en entier, et nous rejoindre lors de cette matinée, toutes les informations sont ici !
Pour les avocats, la matinée est prise en compte au titre de la formation continue.

August 18, 2012

Un nom de domaine peut-il constituer un élément incorporel de l'actif immobilisé ?

La marque IKEA vaut 9 milliards d'euros. Ainsi que l'ont noté les spécialistes, connaître la valeur comptable d'une marque est rare, ce qui ajoute à l'intérêt de l'information.
Et combien vaut un nom de domaine ? La question passionne les acteurs économiques du second marché, mais elle se pose sur un plan comptable dans les mêmes termes que pour la marque IKEA. C'est l'occasion d'évoquer un jugement du Tribunal administratif de Montreuil rendu le 9 février 2012, dans un contentieux fiscal.

Le litige début à l'occasion d'une vérification de comptabilité de la société eBay France. A l'issue de ce contrôle, l’administration a réintégré au bilan de la société la valeur vénale estimée du nom de domaine ebay.fr au titre des immobilisations incorporelles. Cela a eu pour premier effet d'élever le volume des résultats imposables de la place de marché. Mais cela a aussi eu une deuxième conséquence : l'administration fiscale a tenu compte du fait que la filiale française avait mis ce nom à la disposition d'eBay International AG (société de droit suisse) qui l'exploitait, pour considérer qu'il y avait eu transfert de bénéfices, qu’elle a qualifié de distribution occulte (au sens de l’article 111-c du code général des impôts). La société eBay France a contesté ces redressements devant la juridiction administrative. La décision rendue est intéressante à plus d'un titre.

eBay France prétendait qu'on ne pouvait tirer de revenu d'un nom de domaine en le faisant exploiter par un tiers. Analysant la charte de nommage de l'AFNIC, le tribunal va estimer que le droit d’usage sur le nom ebay.fr "est constitutif d’une source potentielle de revenus et doté d’une pérennité suffisante pour la personne à qui il est attribué". Pour ce faire, le tribunal observe que "l’attribution du droit d’usage est renouvelable tacitement à chaque date anniversaire pour une durée similaire, le nombre de ces renouvellements, pour lesquels le titulaire dispose d’une priorité, n’étant pas limité". En conséquence, le nom de domaine ebay.fr doit être vu comme "un élément d’immobilisation incorporelle qui devait figurer à l’actif du bilan de la société requérante, sans qu’il soit nécessaire pour le qualifier ainsi de se prononcer sur la cessibilité du nom de domaine qui en est à l’origine". Voilà de quoi nourrir la réflexion de tous ceux qui s'intéressent à la valorisation comptable des noms de domaine ; attention, cependant, la qualification est relative aux (seuls) noms en .fr.

eBay France essayait d'ailleurs de tirer argument de l'incertitude de qualification des noms en .fr. On sait qu'il existe des décisions ou de la doctrine les qualifiant de ressources publiques. La société soutenait qu'elle utilisait ebay.fr par l'effet d'une autorisation administrative, ne pouvant donc en faire une immobilisation corporelle. Le tribunal ne l'entend pas de cette oreille :

Considérant que si l’attribution du droit d’usage d’un nom de domaine est une prérogative de l’AFNIC soumise au respect de la charte de nommage, elle ne constitue pas pour autant une autorisation administrative ; que la société eBay France ne peut par suite utilement soutenir, sur le fondement des règles du plan comptable général alors en vigueur, qu’elle ne pouvait figurer à l’actif du bilan, faute d’être un élément du patrimoine de la société requérante

eBay France arguait enfin qu'elle n'avait reçu aucune redevance en contrepartie de la mise à la disposition de sa maison-mère du droit d’usage du nom de domaine ebay.fr. Si cette mise à disposition pouvait être justifiée par ses intérêts propres, eBay France aurait peut-être pu obtenir gain de cause sur l'inexistence de transfert de bénéfices à l’étranger (article 57 du code général des impôts). Mais le juge considère que le fait que la société mère a remboursé les frais d’enregistrement du nom de domaine n'est pas suffisant. L'administration fiscale pouvait donc réintégrer dans les résultats imposables d'eBay France le montant de la redevance qu’elle n’avait pas perçue. Pour ce faire, l'administration fiscale a procédé à une évaluation, dont le montant ne figure pas dans la décision.


Le nom de domaine ebay.fr avait déjà fait l'objet d'un contentieux singulier devant les juridictions françaises. Des sociétés françaises l'avaient enregistré à la fin des années 90, probablement pour "barrer la route" à la société américaine à son arrivée sur le marché français. La Cour d'appel de Paris avait débouté eBay de son action en revendication de ce nom. Plus tard, eBay rachètera l'une des sociétés qu'elle avait attaquée dans cette procédure, et mettra ainsi la main sur le nom convoité. La forte valorisation de ce nom de domaine à l'occasion de la cession a visiblement laissé des traces, attirant l'attention de l'administration fiscale quelques années plus tard...

August 15, 2012

Droit des noms de domaine - Mise à jour n° 3

.FR
L'AFNIC a été reconduite pour la gestion du .fr par arrêté du 25 juin dernier. Une convention passée entre l'Etat et le registre accompagne cette désignation et en précise les modalités. Elle prévoit notamment une évolution dans les modes de règlement des litiges.
La convention prévoit aussi que l'AFNIC procèdera chaque année au contrôle de la véracité de données d'au moins 25.000 titulaires.
§ 86, § 126, § 185

La Cour de cassation a jugé le 10 juillet 2012 qu'une cour d'appel devrait juger à nouveau le contentieux relatif au nom marmande.fr. La commune du même nom reprochait au titulaire l'enregistrement de ce nom en 2004. L'arrêt n'est guère intéressant... sauf ses premiers mots : il a été rendu au visa de l'article 1382 du code civil, ce qui pourrait ouvrir à un nouveau fondement de responsabilité en la matière (sur cette question précise, voir C. Manara, Le droit des noms de domaine, n° 344) [arrêt repéré par Emmanuel Gillet]
§ 344

FRAUDES
Un individu avait enregistré une version très proche d'un nom de domaine existant, nom de domaine d'une société d'avocats. Le but de ce typosquatting n'était pas, comme habituellement constaté, d'y associer une page parking... mais d'intercepter tout courrier électronique qui serait envoyé par erreur à une adresse rattachée à ce domaine. Inutile de dire que la personne est poursuivie et que la sanction demandée est élevée (1 million de $). L'histoire ne dit pas s'il a effectivement ramené dans ses filets des messages égarés...
Toujours en matière de typosquatting, il est intéressant de constater que le registre finlandais Ficora mène une enquête à propos d'un ensemble de noms en .fi très proches de marques, tous enregistrés par la même personne. A suivre, afin de savoir quelle sanction sera prise ; en attendant, la personne visée par l'enquête se voit interdire de poursuivre des enregistrements - décision originale.
Un maire du nom de Roque n'appréciait visiblement pas de voir son patronyme utilisé dans un nom de domaine invitant les électeurs à le destituer, recallroque.com. Le nom a été supprimé... après que le fils de ce maire eut illégalement accédé aux paramètres de gestion de ce nom ! L'affaire est désormais aux mains de la justice.

ICANN
Les fonctions IANA continueront d'être assurées par l'ICANN (communiqué du 2 juillet 2012).
§ 24, § 68 à 70

L'ICANN a sélectionné en juin les prestataires administratif et technique du futur service de Trademark Clearing House. Elle a aussi rappelé à l'ordre un important registrar, pour le (seul) motif qu'il en disposerait pas de données correctes relatives au titulaire d'un nom de domaine. Le fait que la sanction encourue - la possible suspension de l'activité du registrar - naisse à propos d'un nom de domaine en particulier est intrigant. Information intéressante alors que l'ICANN envisage d'intégrer dans ses rapports avec les acteurs du nommage des prévisions contractuelles relatives aux abus.

UDRP
Du fait de l'importance du demandeur et de la marque, le fait que Google ait perdu l'action UDRP qu'il avait engagée à propos du nom oogle.com a été remarqué et commenté. Si le géant californien n'a pas eu gain de cause, c'est faute de démonstration que l'enregistrement du nom avait été fait de bonne foi. Ce n'est pas la première fois que cela est jugé à propos d'une marque notoire (voir par exemple ici à propos de justdoit.net revendiqué par Nike) ; il faudrait surtout retenir de cette décision qu'un tel examen du contexte de l'enregistrement devrait être systématique, ce qui modifierait sensiblement la jurisprudence UDRP.
§ 340

Une assurance UDRP existe désormais, donnant certains avantages à ceux qui l'ont souscrites s'ils sont visés par une procédure. A noter que le nombre de contentieux UDRP est en baisse. Une consultation en cours porte sur les effets du blocage d'un nom pendant une procédure UDRP.

KeepAlert a publié un intéressant livre blanc sur le cybersquatting, analysant les décisions UDRP rendues en 2011 (gros travail !). Le fort taux de succès des demandeurs est confirmé (p. 6) : "Les décisions rendues en 2011 par les centres d’arbitrage sont à 90 % en faveur des ayants-droits qui s’acquittent des frais de procédures" (ces statistiques ne sont malheureusement pas fournies centre par centre ; il serait intéressant aussi d'avoir les chiffres quand les décisions sont rendues par des panels de trois arbitres). Il est intéressant aussi d'observer que la création par le registrar GoDaddy d'une page d'attente quand un nom de domaine n'est pas encore utilisé, page d'attente comprenant des liens sponsorisés, est un argument exploité par les demandeurs (p. 15). L'usage est donc le fait de GoDaddy... mais c'est le titulaire qui en devient responsable et peut être affecté - situation juridiquement cocasse.
On apprend aussi cet ahurissant chiffre : la société compte pour plus de 5 % de l'ensemble des contentieux UDRP ! Voilà qui confirme la stratégie de reconstitution de son identité par une entreprise dont divers actifs de propriété intellectuelle ont été érodés ces dernières années, et un signal fort envoyé aux fraudeurs... comme aux concurrents. Les auteurs du rapport notent que certains noms ont déjà été perdus par Lego... (p. 29).
§ 329, § 422

GENERIQUES
Tous les prénoms les plus populaires aux Etats-Unis ont leur équivalent sous forme de nom de domaine en .com (une information qui intéressera aussi Baptiste Coulmont). Gageons que c'est le cas aussi dans beaucoup d'autres extensions ! Dans cette perspective, il est intéressant de relever que, dans les 1930 propositions de création de nouveaux domaines de premier niveau, on n'en trouve que très peu qui soient aussi des prénoms: .PARIS, .TIFFANY et .ZARA.
§ 56

DIVERS
Le registre du .nz se demande s'il doit créer des sous-domaines et consulte jusque fin septembre. Pendant ce temps, le .kids.us est suspendu.
§ 122, § 146

Les commerçants ou les sociétés françaises pourront déclarer leur nom de domaine au registre du commerce et des sociétés à partir du 1er septembre 2012. Une mesure qui ne change rien au statut juridique du nom de domaine.


August 13, 2012

Actualité des noms de domaine - édition spéciale Ville de Paris

La Ville de Paris recrute son chef du bureau de la propriété intellectuelle.* Elle ou il aura notamment en charge la gestion de ses noms de domaine. Du travail en perspective !

Si, pour l'heure, sa candidature au .paris n'a attiré qu'un seul commentaire, d'autres fronts sont ouverts en matière de noms de domaine. Parmi eux :

  • la négociation d'un accord de coexistence suite à la condamnation de la municipalité pour usage de la marque Autolib. Un accord qui devra aussi inclure le ou les noms de domaine reprenant ce signe, à commencer par autolib.eu
  • La gestion d'un contentieux bien mal engagé aux Etats-Unis, qui pourrait coûter dès septembre de l'argent à la Ville (et donc à ses contribuables) : il s'agit d'un litige relatif au nom parvi.org, dans lequel la capitale est accusée d'abuser de son droit de marque
A noter qu'au cours de l'année écoulée, la Ville a récupéré paris.org, par un accord dont les termes n'ont pas été rendus publics, et en novembre 2011 paris-design.fr (accord). Les relations entre la Ville de Paris et les titulaires de noms de domaine ont parfois été houleuses.

Bon courage, donc, à la personne qui sera choisie !

* Ce bureau "assure la surveillance et la défense du nom et de la marque « PARIS ». Il centralise et assure les dépôts de marques et la réservation de noms de domaine utiles aux projets de la Ville, et gère les contentieux de propriété intellectuelle" (source)

August 11, 2012

Observations sur le changement de l'algorithme de Google / Violations du droit d'auteur

Chez Google, le mois d'août semble propice aux changements de politique en matière de propriété intellectuelle ! Il y a deux ans, la société annonçait modifier son règlement AdWords pour laisser plus largement aux annonceurs la possibilité d'utiliser des marques. Elle vient cette fois d'annoncer une évolution du référencement naturel sur fond de protection du droit d'auteur.

De quoi s'agit-il ?
Google tient compte d'un certain nombre de critères (200, selon ses propres dires) pour classer les sites : fraîcheur du contenu, ancienneté du nom de domaine, etc. Certains de ces paramètres sont connus pour être communiqués par Google (en particulier via Matt Cutts, devenu le porte-parole auprès des webmasters). Le plus célèbre est celui décrit par les concepteurs de l'algorithme dans un article scientifique : le nombre de liens pointant vers une page (Sergey Brin and Larry Page, The Anatomy of a Large-Scale Hyper-textual Web Search Engine, 1998). D'autres critères de pondération sont devinés empiriquement par des spécialistes de SEO.
Google vient d'annoncer qu'un nouveau critère sera désormais pris en compte pour classer un site : le nombre de notifications pour violation du droit d'auteur visant ce site.

Contexte
Depuis la création de la méthode de classement des sites, l'algorithme a beaucoup évolué. Parmi les changements notables, l'analyse et le traitement des milliards de requêtes effectuées sur le moteur, intelligence collective permettant  à Google d'affiner les résultats qu'il fournit.
Google a annoncé en mai 2012 qu'il recevait plusieurs millions de demandes de retrait de contenus, ou de suppression de liens vers ceux-ci. Ces notifications de violation de droit d'auteur sont publiées par le géant californien.
Trois mois plus tard, alors que Google indique que ces éléments vont jouer dans le classement des sites concernés, on peut faire un lien entre ces deux annonces : le moteur dispose d'une base de données qualifiées (les sites présumés coupables de violations massives du droit d'auteur) dont il est logique qu'il l'exploite pour affiner un peu plus encore son algorithme. La société est un modèle de compréhension et d'analyse des big data, et la démarche s'inscrit mécaniquement dans ses processus de traitement.
Néanmoins, cette évolution n'est pas anodine sur le plan juridique.

En quoi est-ce important ?
Jusqu'ici, tous les critères dont Google semblait tenir compte pour établir son classement n'étaient que de nature technique ou éditoriale. La contrainte juridique ne pesait pas sur la structure même de l'algorithme : quand une décision de justice ici, une injonction là, une notification de retrait ailleurs, obligeait Google à supprimer de son moteur de recherche un lien, ce lien était exclu des résultats, mais sans modification de l'algorithme lui-même.
Les choses ont désormais changé : le non-respect d'une règle de droit devient un critère d'appréciation de la valeur d'un site. Le code intègre donc le droit.

Pourquoi ce changement ?
Google indique avoir procédé à cette modification afin d'aider les utilisateurs à trouver des ressources de qualité, qui soient aussi "gitimes" ("This ranking change should help users find legitimate, quality sources of content more easily"). De mémoire, jamais encore Google n'avait pas parlé de "légitimité" dans l'appréciation qu'il fait d'un contenu, son discours tournant toujours autour de la qualité et des attentes des utilisateurs. 
La légitimité peut être une attente des internautes, mais elle constitue d'abord une question de jugement, délicate à apprécier.

Qui Google va-t-il pénaliser et comment ?
Comment une société privée opérant globalement peut-elle établir un critère de "légitimité" d'un site ? Google indique le faire au regard du nombre de notifications de violation de droit d'auteur visant un site ("Sites with high numbers of removal notices may appear lower in our results"). Cela appelle un certain nombre d'observations.

Existence de notifications : Google va donc tenir compte des requêtes destinées à obtenir la suppression de contenus violant le droit d'auteur. Mais il ne va, par hypothèse, tenir compte que des requêtes qu'il a lui-même reçues : soit celles visant le moteur et destinées à obtenir la suppression d'un lien, soit celles visant des contenus des sites qu'il administre (YouTube, Blogger...). Un site illégal dont l'hébergeur aurait plusieurs fois été invité à supprimer des pages ne serait donc pas affecté, les notifications ayant été faites à un tiers à Google. L'effet mécanique de la mesure annoncée par Google pourrait donc avoir pour effet d'inciter les ayants droit à adresser leurs notifications à Mountain View plutôt qu'aux auteurs des infractions. Le volume de requêtes reçues par Google pourrait donc augmenter (et parallèlement nourrir sa base de données désormais intégrée à son algorithme, et donc amplifier le mécanisme mis en place...).

Notifications pour violation du droit d'auteur : le changement de politique ne touche qu'au droit d'auteur. Un site parking sous un nom de domaine contrefaisant une marque n'est donc pas visé, par exemple, pas plus qu'un site diffusant des épreuves sportives ou appelant à la haine.
Pourquoi seulement le droit d'auteur ? Parce qu'en ce domaine, les règles internationales applicables permettent au détenteur d'un droit d'en jouir - je simplifie - à l'identique partout dans le monde ou presque (article 5 de la Convention de Berne). Il existe donc un standard unique et global - ce qui viole le droit d'auteur dans un pays le viole aussi dans d'autres pays - qui peut facilement être utilisé par un opérateur global comme Google.
Ce n'est pourtant qu'un trompe l'oeil... Car si le droit d'auteur est harmonisé internationalement, ce n'est pas le cas des procédures de notification de violation de ce droit. En droit américain, c'est le DMCA qui s'applique, en France le fameux article 6 de la LCEN, etc. : chaque pays dispose en droit interne d'un mécanisme de notification. Or, à lire le communiqué de Google, il semble que seules les notifications fondées sur le DMCA seront de nature à affecter le classement des sites : en effet, ce communiqué renvoie au Transparency Report qui ne fait a priori que recenser les requêtes reçues sur le fondement de ce texte.
Si cela est avéré, les notifications faites à Google sur la base de la LCEN ne priveront pas les sites visés dans ces notifications de leur rang dans les résultats. Une clarification de la part du moteur pourrait être bienvenue à cet égard.
Autre conséquence, toujours si cela est avéré : une notification faite sur le fondement du DMCA ne peut être relative qu'à la version américaine du droit d'auteur. Un régime qui ne connaît pas le droit moral, et est surtout bien plus souple que le régime français : le fair use permet des utilisations d'oeuvres interdites par le code de la propriété intellectuelle en France. Dans cette optique, il est des pratiques illégales au regard du droit français qui n'auraient pas pour conséquence de pénaliser le classement des sites (français) sur lesquels elles ont été constatées. 

Validité des notifications : Google ne tiendra compte - et heureusement ! - que des notifications valablement effectuées. Elles devront donc respecter les formalités du DMCA. Surtout, elles ne devront pas être suivies de contre-notifications - mécanisme du DMCA permettant d'obtenir le retour au statu quo ante quand la demande de retrait formulée était irrégulière.

Caractère répété : ce n'est pas la présence d'un contenu illicite qui pourrait affecter le classement d'un site, mais le fait qu'il ait été maintes fois visé par un demande de retrait. Autrement dit quand il y a violation manifeste. Google ne communique pas sur le nombre à partir duquel le risque de de-ranking existe : s'agit-il d'un plancher identique pour tous les sites, le nombre est-il fonction du nombre de pages du site en question (YouTube pourrait-il voir son PageRank baisser ?), etc. ? L'algorithme de Google étant protégé par le secret des affaires, on imagine mal que ce nombre-plancher soit connu... et l'on imagine encore moins un site ayant régulièrement violé le droit d'auteur engager une action en justice contre le moteur pour se plaindre de n'avoir pas connu le seuil à partir duquel la pénalité s'applique.

Effets de ce changement ?
C'est à partir de ce lundi que le changement sera mis en oeuvre. Les fins observateurs devraient bientôt faire part des évolutions qu'ils constatent dans les classements de Google : certains sites reculent-ils, et de combien de places ? L'effet est en tout cas immédiat chez les titulaires de droits, qui saluent l'initiative de Google.
Sur le plan de la circulation de l'information - une liberté à laquelle Google clame constamment son attachement... -, l'effet sera aussi à mesurer : est-ce que ce sont seulement les pages d'un site qui seront moins bien classées, ou le site en son entier ? Dans le cas des sites hybrides, sur lesquels coexistent des contenus illicites et d'autres licites, la politique de lutte contre les premiers pourraient affecter substantiellement la visibilité des seconds.
Autre conséquence : quand un lien était manuellement retiré de l'index, Google en informait les utilisateurs (voir l'illustration plus haut). Cette pratique va-t-elle perdurer ? Si oui, ces informations seront probablement rejetées au-delà de la première page de résultats, et donc moins visibles pour les utilisateurs.





July 19, 2012

Nouvel arrêt de la CJUE à propos d'un nom de domaine en .eu

Walsh Optical vend en ligne divers produits optiques, notamment au travers du site lensworld.com. Elle a enregistré cette marque au Benelux dans les mois qui ont précédé l'ouverture du .eu, dans le but évident d'obtenir le nom de domaine correspondant.
Problème : la société est américaine, et ne peut donc prétendre à l'enregistrement d'un tel nom. Pour ce faire, elle est passée par le cabinet Gevers, en octroyant à ce dernier une licence de marque aux contours stricts : elle était spécifiquement limitée à l'obtention du nom convoité. Montage contesté par Pie Optiek, société belge ayant des activités concurrentes sur son site lensworld.be.
Le contentieux qui ne manqua pas d'être engagé aboutit à une question préjudicielle, sur laquelle la Cour de Justice de l'Union Européenne a rendu aujourd'hui son arrêt.

La CJUE sanctionne la fraude à la loi, sans le dire en ces termes : "il serait contraire aux objectifs des règlements nos 733/2002 et 874/2004 de permettre à un titulaire d’un droit antérieur qui dispose de la plénitude de ce droit mais ne satisfait pas au critère de présence sur le territoire de l’Union d’obtenir, à travers une personne qui satisfait à ce critère de présence mais ne dispose pas, même en partie ou temporairement, dudit droit, un nom de domaine .eu à son profit".
Elle ajoute que la licence de marque est destinée à l'exploitation du droit sur celle-ci, autrement dit à la commercialisation de produits ou de services. S'il résulte d'un contrat qu'on ne peut utiliser une marque pour les fonctions qui sont les siennes, alors il ne s'agit pas d'un contrat de licence, dit en substance la CJUE. Le contrat litigieux "s’apparente davantage à un contrat de service qu’à un contrat de licence" et "ne saurait être considéré comme un contrat de licence en droit des marques".

La juridiction de renvoi annulera donc probablement l'enregistrement contesté. En attendant, la décision qui intervient arrive bien tard. L'ouverture du .eu a donné lieu à diverses stratégies d'obtention de noms de domaine, dont nombre n'ont pas été critiquées ou poursuivies !

[C-376/11, 19 juillet 2012]

[§ 368, § 53, § 129, § 133, § 164]

July 17, 2012

Satisfait ET remboursé !

L'AFNIC a récemment été désignée ou re-désignée pour la gestion de l'ensemble des domaines français (.fr, .re, .tf, .yt...). A cette occasion, une convention a été signée avec l'Etat, qui vient d'être publiée par l'AFNIC. Les juristes et titulaires de droits seront particulièrement intéressés par l'article 10 de cette Convention :


L'on apprend ainsi que la procédure de règlement des litiges connaîtra la même évolution que celle du registre belge DNS.BE. A l'instar de ce dernier, qui propose depuis quelques années un remboursement d'un peu plus de la moitié des frais réglés par un requérant, le demandeur qui gagne une procédure Syreli se verra rembourser 150 des 250 € qu'il doit débourser pour engager une action, en cas de succès de celle-ci.

Certaines administrations, comme la DGCCRF ou les Douanes, seront exemptées de frais si elles engagent de tels recours.

L'on apprend encore que la procédure Syreli sera à terme complétée par une autre procédure alternative de règlement des litiges, qui sera administrée par le centre spécialisé de l'OMPI.