October 24, 2012

Registrars et registres : des espèces protégées

C'est un sujet qui ne devrait plus être débattu depuis longtemps, et que la cour d'appel de Paris vient définitivement de clore : les registrars ou les registres ne peuvent être tenus responsables des enregistrements de noms de domaine qui sont faits auprès d'eux.

EuroDNS et l'AFNIC étaient poursuivies par Air France, Gervais Danone, France Télévisions, Michelin, Lancôme, L’Oréal, Renault et Voyageurs du Monde parce qu'avaient été réservés, par des tiers, des noms de domaine très proches de marques que ces sociétés détiennent, comme lancom.fr ou michlin.fr. Ces marques étant particulièrement connues, leurs titulaires prétendaient que le registrar avait une obligation de contrôle (de "filtrage", est-il même écrit dans la décision) et devait être tenu responsable d'avoir permis qu'ils soient réservés. Contre le registre, les mêmes titulaires de marques soutenaient qu'ils devaient prendre des mesures particulières - telles que gel ou blocage des noms - dès lors qu'il était informé que ceux-ci pouvaient potentiellement être illicites. L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 19 octobre a la forme d'un camouflet pour les demandes ; les juges confirment ainsi la neutralité des intermédiaires (le terme "neutralité" ne figure pas dans la décision).

Vous pourrez lire aujourd'hui sur dalloz.fr mes observations sur cette décision.

§ 419

October 22, 2012

La saisie-vente des noms de domaine pour se faire payer


Par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris


La saisie du nom de domaine megaUpload.com en janvier 2012 a donné lieu à de nombreux commentaires, notamment sur deux points :
1.      le lien entre noms de domaine et territoire physique. Il est aujourd'hui clair que, contrairement à ce que certains ont pu croire, le .com n'est pas dans le "cyberespace". C'est une base de données gérée par un registre, la société VeriSign, basée à Reston en Virginie, États-Unis ;
2.      la vulnérabilité des noms de domaine vis-à-vis d'une saisie. Dans le cas de MegaUpload, il a suffi aux autorités américaines d'aller voir VeriSign non seulement pour empêcher l'accès au service mais aussi pour le faire savoir en reroutant le trafic vers une page annonçant la saisie.

Malgré l'émoi et les nombreux commentaires, le cas MegaUpload est cependant extrême : les titulaires de noms de domaine qui peuvent craindre une saisie étatique afin de bloquer un service, dans le cadre d'une action pénale, sont a priori une infime minorité. Mais un autre type de saisie est possible, touchant un bien plus grand nombre de gens sans que, pour l'instant, il ne semble avoir donné lieu à beaucoup de débat ni même à des mises en pratique : c'est la saisie par des créanciers, afin de vendre les noms de domaine d'un débiteur récalcitrant à payer sa dette.
En effet, il est clair qu'un nom de domaine comme myspace.com par exemple a une valeur excédant largement les quelques euros qu'ont coûté son enregistrement puis son renouvellement. Dans le cas de MySpace, cette valeur est non seulement liée au service de musique auquel il est actuellement associé (et que chacun s'accorde à juger sur le déclin), mais aussi à la signification du nom lui-même ("Mon Espace") qui permet de l'associer à virtuellement n'importe quel type de services. Aux début des années 2000, MySpace était d'ailleurs une sorte d'ancêtre de MegaUpload, particulièrement populaire pour le partage de fichiers pirates (warez) etaujourd'hui complètement oublié. Même des noms de domaine bien moins connus que myspace.com ont une valeur certaine, du fait du trafic généré et/ou fidélisé.


Or, si la loi ne prévoit pas expressément la saisie des noms de domaine en vue de leur vente forcée par le créancier du titulaire, elle permet la saisie et la vente des droits incorporels, autre que les créances de
sommes d'argent, dont le débiteur est titulaire
(art. L. 231-1 du Code des procédures civiles d'exécution). Un nom de domaine est manifestement un tel droit incorporel.
Au niveau de la procédure, et faute encore une fois de précision dans la loi, la logique est que l'huissier muni de son titre (c'est-à-dire de la décision de justice condamnant le titulaire du nom de domaine à payer certaines sommes) pratique une saisie là où cette mesure est utile afin de bloquer le nom. C'est donc soit auprès du registre soit auprès du bureau d'enregistrement du nom de domaine qu'il convient qu'il se rende afin de délivrer son procès-verbal qui gèlera le nom de domaine dans l’attente de sa vente. C'est ce qu'on appelle une saisie entre les mains d'un tiers (par rapport au débiteur) en langage juridique.


Se pose bien sûr la question de la localisation de ce tiers : s'il se trouve à l'étranger
(par exemple VeriSign), il n'a aucune raison de se plier aux injonctions d'un huissier français, tout muni qu'il soit d'une décision de justice française. Cependant, il n'est pas rare en pratique que les titulaires français de nom de domaine aient soit un bureau d'enregistrement français (OVH par exemple) soit un registre français s'ils ont enregistré un .fr (géré par l'AFNIC). Dans le cas de MegaUpload, c'était le registre qui était américain, le bureau étant canadien.
Une fois la saisie pratiquée et validée, viendra le moment de la vente aux enchères. Faute pour la loi de préciser le lieu et la façon dont cette vente doit se tenir, pourrait-elle être organisée sur une plateforme de courtage spécialisée type Sedo ? Ce serait la solution la plus économique et celle permettant très certainement d'obtenir le prix le plus élevé.


Mais si le nom de domaine a réellement une valeur et est essentiel à l'activité de son titulaire, il est probable que celui-ci aura acquitté sa dette s'il en a la capacité ou aura pris des engagements en ce sens bien
avant cette vente, afin de l'éviter. Ce qui fait de la saisie des noms de domaine une excellente procédure d'exécution, c'est-à-dire une procédure qui incite le débiteur au règlement volontaire de ses dettes.

October 15, 2012

Droit des noms de domaine - Mise à jour n° 4

Saisie de noms de domaine
On savait que les Etats-Unis saisissaient de manière sommaire des noms de domaine. On apprend qu'il arrive aussi qu'ils en revendent certains ! Voilà une solution pour les finances publiques : revendre des choses obtenues gratuitement...

Nouveaux gTLDs :
Si vous ne vous y retrouvez plus dans les annonces successives, voici un calendrier clair (mais peut-être trop précis !) de leur lancement. Evoluera-t-il à Toronto, alors que l'ICANN y tient sa 45ème réunion ? En tout cas, des changements peuvent intervenir dans les candidatures mêmes : la correction des dossiers est possible à certaines conditions. Certains ont déjà commencé : 57 dossiers ont été modifiés dès le mois dernier (et 7 candidatures retirées). A suivre.
Pendant plusieurs semaines, il était possible de faire des commentaires sur les candidatures ; il y en a plusieurs milliers (plus de 11.000)... mais aucune objection formelle encore ! Au moins l'un de ces commentaires a suscité une réaction chez un candidat, qui a demandé à l'ICANN de le retirer de son site. Mais la véritable phase d'intimidation commencera un peu plus tard... C'est plutôt dans la presse que les débats se tiennent, qui portent sur la privatisation des noms communs par des grandes sociétés : des mises en garde ont été lancées par une association de consommateurs (voir aussi sur le même sujet le blog de l'IGP). Du côté des registrars, on s'inquiète plutôt du fonctionnement en mode fermé de certains domaines appelés à naître.
Pendant ce temps, un nouvel appel à commentaires relatif à la Trademark Clearinghouse a été lancé par l'ICANN. Une entité a publié un livre blanc circonstancié sur l'ensemble des difficultés juridiques ou techniques qu'elle soulève à ses yeux.
Surfant sur la vague, un micro-Etat "toilette" son .pw pour lui faire signifier professional web.

§ 108

Noms génériques
A l'occasion de la sortie d'un livre sur Xavier Niel, historiquement l'un des premiers domaineurs en France, on se remémore que France Télécom faisait la police des codes télétel et on se dit que le régime juridique des identifiants électroniques a quand même un peu évolué :
3615 BAC94 et 3615 BAC95, « retirés moins d’un mois après (…) par France Télécom, chargé de l’attribution des codes Minitel. 3615 BAC96 et 97 de même que 3617 BAC96, BAC97, BAC98 et BAC99, attribués en août 1993, connaissent le même sort un peu plus tard. Motif avalisé par le Comité de la Télématique Anonyme (CTA) : « ces codes(sont utilisés) pour un service de messagerie conviviale ou des services non interactifs ». C’est pousser un peu loin l’enrichissement des connaissances des bacheliers ! »"
L'Institut Pasteur ne peut revendiquer pasteurs.fr, utilisé pour créer un "réseau francophone de pasteurs dans le monde" (Syreli 00162). On se rappellera que le même Institut avait pourtant renoncé, il y a déjà douze ans, à revendiquer pasteur.net... A noter aussi que pasteur.fr (au singulier) fit partie de la liste des termes "fondamentaux" dont l'enregistrement fut longtemps interdit.

§ 144

Confirmation de la jurisprudence selon laquelle l'utilisation d'un nom de domaine descripteur n'est pas de la concurrence déloyale si une autre société utilise déjà un nom générique proche. En l'occurrence une société utilisant chambres-et-literie.fr reprochait à une autre d'utiliser en redirection chambreset-literie.com, toutes deux ayant une activité similaire. Emmanuel Gillet rapporte que, dans un arrêt rendu à Versailles le 17 juillet 2012, il a été jugé à propos du nom de domaine qu'il consiste en
"la juxtaposition d'un article et de mots du langage courant" et "évoque l'objet même de son activité sur internet, peu important qu'elle ne vende aucun mobilier ou des objets de décoration pour la chambre, la literie se rapportant nécessairement à la chambre dans l'esprit du consommateur".
Pas de sanction, donc, avec ce contentieux qui rappellera celui ayant existé entre armoirelit.com et armoire-lit.com.

§ 378

Retour du serpent de mer de la protection du nom des collectivités territoriales à l'Assemblée Nationale, avec une proposition de loi dont les motifs sont en partie erronés en ce qu'ils parlent d'une "exclusivité dont elles bénéficient pour le dépôt de leur nom en « .fr » sur internet"

§ 141

Sous-domaines
co.no : une société vend des sous-domaines rattachés au co.no qu'elle détient. Cela est source de confusion, selon le registre norvégien Norid, qui a attaqué et présente le jugement sur son site.
kids.us : cette extension singulière avait été créée sur intervention législative. Cette greffe publique n'aurait-elle pas pris dans l'univers privé qui caractérise les noms de domaine ? En tout cas, le kids.us a été suspendu. De son côté, Nominet, registre vendant du .co.uk, du .org.uk et autres, songe sérieusement à désormais autoriser l'enregistrement directement en .uk.

§ 146

Cession de nom de domaine
Conséquence logique de l'existence de l'obligation d'information : en cédant un nom de domaine, il faut indiquer à l'acquéreur si ce nom a été précédemment bloqué par Google. Un contentieux est en cours aux Etats-Unis à ce sujet.

UDRP
Le népotisme semble se poursuivre au National Arbitration Forum. Une étude pointe pour la deuxième fois que la majorité des décisions est rendue par une poignée d'arbitres (lire ici ou ici).
Il semble qu'un demandeur a sollicité le retrait d'un site web de la copie de la requête UDRP qu'il avait faite, pour violation de droit d'auteur.

Contentieux international
"L'exploitation d’un nom de domaine belge identique à une marque française ne constitue pas un acte de contrefaçon si le site internet auquel il est relié, bien qu'accessible sur notre territoire, ne vise pas directement le public français" (Paris, 2 mars 2012)

§ 309

Cybersquatting
Sanction logique de la personne qui a enregistré et cherchait à revendre les noms (parqués) cheriehd.net, cherie-hd.com, cherie-hd.net, cherihd.fr et cheri-hd.fr le 7 avril 2011, soit deux jours après la publication d’un communiqué de presse sur le lancement de la chaîne ChérieHD (TGI Nanterre, 28 juin 2012).

.FR
"Sécuriser les noms de domaine", un document (de grande qualité) regroupant les conseils de l'AFNIC.
Le parking d'un nom de domaine en .fr peut n'être pas illicite, selon l'AFNIC, s'il "renvoie vers une page parking dont les liens hypertextes n'ont pas de lien avec les classes d'enregistrement de la marque" du demandeur (Syreli 00153). Pour l'anecdote, l'affaire portait sur un nom comptant un caractère accentué, décorial.fr.
La Bibliothèque Nationale de France a obtenu du registre la liste complète des noms en .fr, qui sera utile à sa mission d'archivage. Réflexe de juriste : certains noms de domaine pouvant être qualifiés de données personnelles, on se demande comment a été rédigée la convention de mise à disposition de ces ressources !

§ 263