October 22, 2012

La saisie-vente des noms de domaine pour se faire payer


Par Charles Simon, avocat au Barreau de Paris


La saisie du nom de domaine megaUpload.com en janvier 2012 a donné lieu à de nombreux commentaires, notamment sur deux points :
1.      le lien entre noms de domaine et territoire physique. Il est aujourd'hui clair que, contrairement à ce que certains ont pu croire, le .com n'est pas dans le "cyberespace". C'est une base de données gérée par un registre, la société VeriSign, basée à Reston en Virginie, États-Unis ;
2.      la vulnérabilité des noms de domaine vis-à-vis d'une saisie. Dans le cas de MegaUpload, il a suffi aux autorités américaines d'aller voir VeriSign non seulement pour empêcher l'accès au service mais aussi pour le faire savoir en reroutant le trafic vers une page annonçant la saisie.

Malgré l'émoi et les nombreux commentaires, le cas MegaUpload est cependant extrême : les titulaires de noms de domaine qui peuvent craindre une saisie étatique afin de bloquer un service, dans le cadre d'une action pénale, sont a priori une infime minorité. Mais un autre type de saisie est possible, touchant un bien plus grand nombre de gens sans que, pour l'instant, il ne semble avoir donné lieu à beaucoup de débat ni même à des mises en pratique : c'est la saisie par des créanciers, afin de vendre les noms de domaine d'un débiteur récalcitrant à payer sa dette.
En effet, il est clair qu'un nom de domaine comme myspace.com par exemple a une valeur excédant largement les quelques euros qu'ont coûté son enregistrement puis son renouvellement. Dans le cas de MySpace, cette valeur est non seulement liée au service de musique auquel il est actuellement associé (et que chacun s'accorde à juger sur le déclin), mais aussi à la signification du nom lui-même ("Mon Espace") qui permet de l'associer à virtuellement n'importe quel type de services. Aux début des années 2000, MySpace était d'ailleurs une sorte d'ancêtre de MegaUpload, particulièrement populaire pour le partage de fichiers pirates (warez) etaujourd'hui complètement oublié. Même des noms de domaine bien moins connus que myspace.com ont une valeur certaine, du fait du trafic généré et/ou fidélisé.


Or, si la loi ne prévoit pas expressément la saisie des noms de domaine en vue de leur vente forcée par le créancier du titulaire, elle permet la saisie et la vente des droits incorporels, autre que les créances de
sommes d'argent, dont le débiteur est titulaire
(art. L. 231-1 du Code des procédures civiles d'exécution). Un nom de domaine est manifestement un tel droit incorporel.
Au niveau de la procédure, et faute encore une fois de précision dans la loi, la logique est que l'huissier muni de son titre (c'est-à-dire de la décision de justice condamnant le titulaire du nom de domaine à payer certaines sommes) pratique une saisie là où cette mesure est utile afin de bloquer le nom. C'est donc soit auprès du registre soit auprès du bureau d'enregistrement du nom de domaine qu'il convient qu'il se rende afin de délivrer son procès-verbal qui gèlera le nom de domaine dans l’attente de sa vente. C'est ce qu'on appelle une saisie entre les mains d'un tiers (par rapport au débiteur) en langage juridique.


Se pose bien sûr la question de la localisation de ce tiers : s'il se trouve à l'étranger
(par exemple VeriSign), il n'a aucune raison de se plier aux injonctions d'un huissier français, tout muni qu'il soit d'une décision de justice française. Cependant, il n'est pas rare en pratique que les titulaires français de nom de domaine aient soit un bureau d'enregistrement français (OVH par exemple) soit un registre français s'ils ont enregistré un .fr (géré par l'AFNIC). Dans le cas de MegaUpload, c'était le registre qui était américain, le bureau étant canadien.
Une fois la saisie pratiquée et validée, viendra le moment de la vente aux enchères. Faute pour la loi de préciser le lieu et la façon dont cette vente doit se tenir, pourrait-elle être organisée sur une plateforme de courtage spécialisée type Sedo ? Ce serait la solution la plus économique et celle permettant très certainement d'obtenir le prix le plus élevé.


Mais si le nom de domaine a réellement une valeur et est essentiel à l'activité de son titulaire, il est probable que celui-ci aura acquitté sa dette s'il en a la capacité ou aura pris des engagements en ce sens bien
avant cette vente, afin de l'éviter. Ce qui fait de la saisie des noms de domaine une excellente procédure d'exécution, c'est-à-dire une procédure qui incite le débiteur au règlement volontaire de ses dettes.

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