July 30, 2013

Sélection d'actualités (juillet)

TV ou tu veux pas ?
Un opérateur de télévision met à disposition ses programmes sur son site. Un autre site propose l'accès à ces vidéos, ainsi que leur téléchargement. Il est mis en demeure par la télévision de cesser ses activités.
Au-delà des questions de droit d'auteur que soulève ce contentieux, on observera que la société de télévision trouve aussi dans les règles du code des postes et des communications électroniques un argument juridique : selon elle, l'usage par son adversaire d'un nom de domaine en .fr serait illégal (cf. mise en demeure, page 6).
Cette prétention est quelque peu déroutante : c'est en effet le nom de domaine lui-même qui doit être susceptible de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle (c'est le texte même de l'article L. 45-2 du CPCE), il ne devient pas illégal par ricochet si le service qui lui est associé est irrégulier.

Range ton parking !
Divers registrars placent automatiquement en parking les noms qui viennent d'être réservés auprès d'eux. Tant que son titulaire n'a pas débuté l'utilisation du nom qu'il a enregistré, le registrar peut tirer quelques revenus en cas de clic sur l'un ou l'autre lien apparaissant sur la page parking. Une telle pratique de la part du registrar est-elle licite ? Un début de réponse vient d'être donné en droit américain.
GoDaddy, bien connu pour créer par défaut des pages parking pour les domaines en attente, est poursuivi pour ce faire. Le registrar américain a cherché à convaincre le juge que le contentieux devait en rester là, sans succès. Il a été jugé en Californie qu'il y a bien usage au sens de l'Anticybersquatting Consumer Protection Act, ce qui ouvre un boulevard au plaideur qui attaque GoDaddy... et pourrait amener ce dernier à modifier ses pratiques.

Nouveaux TLDs, nouveaux contentieux
C'est bien connu, l'alcool peut échauffer les esprits, et c'est ce qui s'est produit en Afrique du Sud récemment. Ce ne sont pas les vins locaux qui sont à l'origine de ce coup de sang, mais le souhait des producteurs français de protéger au mieux leurs appellations dans, au minimum, les nouveaux domaines .vin et .wine. Face à la difficulté de concilier les intérêts en présence - protection nationale des appellations d'un côté, intérêts et investissements des candidats de l'autre -, il a été décidé de se donner le temps de la réflexion (point 4.1.2.a du communiqué du GAC à Durban le 18 juillet 2013). Pour la résolution d'un autre problème complexe, celui de la protection éventuelle des noms d'organisations internationales, un mécanisme spécifique de prévention des litiges est à l'étude (cf. point n° 5 du même communiqué). Au fait, puisque le dernier sommet de l'ICANN est évoqué, on y a dit que la Trademark ClearingHouse est sur le point de voir le jour... comme à chaque réunion !
A noter aussi qu'à mesure que l'on avance dans le processus de mise en oeuvre des nouvelles extensions (ou que l'on discute de la réforme du whois), se pose de façon toujours plus pressante la question de l'articulation des normes de l'ICANN avec la protection de la souveraineté nationale.
Pendant ce temps, aucune objection juridiquement fondée n'a permis d'enrayer le lancement d'un nouveau TLD. Alors que divers plaideurs ont utilisé la procédure dite Legal Rights Objection pour tenter d'empêcher la création des .cam, .express, .gmbh, .home, .limited, .mail, .mls, .pin, .rightathome, .song, .tunes, .vip, ou .yellowpages, toutes ces extensions ont été validées, par une ou plusieurs décisions. A leur lecture, on retiendra :
- que la détention de plusieurs centaines de marques par le demandeur est indifférente (et que plusieurs demandeurs tendent à vouloir protéger un terme commun à toutes ces marques, sur lequel ils n'ont pas nécessairement de droit),
- qu'il est tenu compte de la portée de la marque du demandeur (connue du public ou non ?),
- qu'il est tenu compte de l'usage possible du domaine par le candidat (usage d'un nom générique dans son sens générique),
- qu'il y a des références sont au droit américain ou au droit européen des marques en fonction du centre de gravité du litige, mais aussi citation de précédents UDRP
La plus riche des décisions est probablement celle qui porte la référence LRO2013-0022.

July 13, 2013

Actualités du droit des noms de domaine, mai-juin 2013

JURISRUDENCE

Enregistrement et utilisation de noms de domaine sont bien deux stades distincts, dont seul le second obéit à un régime juridique. Implicitement dessinée dans l'arrêt Locatour par la Cour de cassation française en 2005, cette distinction est consacrée au niveau européen avec cet arrêt de la CJUE du 11 juillet 2013, selon lequel l'enregistrement d'un nom de domaine n'est "qu’un acte formel moyennant lequel est demandé à l’organisme désigné pour la gestion des noms de domaine de faire figurer, contre paiement, ledit nom de domaine dans sa base de données et de connecter les internautes qui saisissent celui-ci exclusivement à l’adresse IP indiquée par le titulaire de ce nom de domaine. Le seul enregistrement d’un nom de domaine ne signifie, toutefois, pas encore que celui-ci sera effectivement utilisé par la suite pour créer un site Internet et qu’il sera par conséquent possible pour les internautes de prendre connaissance de ce nom de domaine." Ne peut donc s'appliquer à un nom de domaine simplement enregistré les règles relatives à la publicité (ni aux marques, ni à tout autre droit, suis-je tenté d'ajouter ! Sur la distinction création / emploi du nom, voir le livre promu dans la colonne de droite).

Ta ta ta ! Sanction de la société qui avait utilisé le nom patronymique de Monsieur Mikhaïl Kalashnikov à des fins commerciales et procédé respectivement à la réservation des noms de domaine kalashnikow-energy.com et kalashnikow-energy.fr, "commettant ainsi une faute en s’appropriant le patronyme “KALASCHNIKOV” dans le but d’amener la clientèle à croire en l’existence de liens commerciaux directs entre les parties et ainsi à attribuer une origine commune aux produits et services respectivement proposés, d’autant plus que cette utilisation est manifestement associée à l’univers des armes." (Cour d'appel de Paris, 29 mars 2013).

Mme Aline C. a demandé et obtenu la fermeture de sites portant atteinte à sa réputation. Elle obtient aussi la suppression des noms aline-c....com, aline-c....-julien-m....com et julien-m....com. Le juge va jusqu'à accepter que cette suppression soit effectuée "par toutes personnes habilitées sur simple présentation de [son] ordonnance" [TGI Paris, 19 avril 2013]. Décision, hem, disons très créative...

Dans la série des décisions ratées, on peut citer le jugement par lequel Facebook Inc. a réussi à récupérer les noms fuckbook.net, fuckbook.fr, fucksbooks.com, fuckbook.be, fuck-book.be, fuckbook.eu, fuck-book.es, fuck-book.ch, fuckbook.fr, fuck-book.fr, fucksbooks.fr et même "tous noms de
domaine contenant le terme “fuckbook”, "fuck-book" ou “fucksbooks”" ! Alors que la décision établit que ces noms sont exploités par une société, elle retient la responsabilité personnelle du gérant au motif qu'il est "titulaire de noms de domaine qui permettent directement l’accès au site litigieux". Selon le tribunal, "il est donc également responsable personnellement à ce titre". Il y a ici violation du principe selon lequel on ne répond que de son propre fait. Si c'est l'utilisation qui est sanctionnée, alors seul l'exploitant peut être condamné. Quant au transfert des noms, ordonné en l'espèce, on rappellera avec un peu de lassitude qu'il ne devrait pas être prévu, même dans le cas d'une marque aussi forte que celle du demandeur [TGI Paris, 13 juin 2013].


ACTUALITES
Les saisies de noms de domaine se poursuivent. L'accentuation de la coopération internationale est désormais affichée par le déroulement des logos des autorités nationales qui y participent. Sur les 328 noms saisis fin juin figurent trois noms en .org ; 151 noms auraient été saisis en Europe (dont des .fr - sur le crédit à apporter à ces communiqués, relire ici).

Yahoo! crée un second marché des adresses e-mail, en libérant des alias qui ne sont plus utilisés. Marché gratuit toutefois, la récupération de comptes existants n'étant pas prévu à titre onéreux.

Le Conseil National des Barreaux continue de penser qu'utiliser "avocat" dans un nom de domaine est anormal quand le site n'est pas celui d'un avocat (rapport sur la participation des avocats à des sites internet de tiers, juin 2013, p. 16).

.eu : a été publié en mai un appel à manifestation d'intérêt en vue du renouvellement (éventuel) du mandat de l'actuel registre qui arrivera à expiration en octobre 2014. Cela n'affectera pas les règles d'enregistrement existantes.

.be : à l'instar de son voisin français, il aura bientôt une assise législative, le Royaume de Belgique ayant préparé un texte pour la gestion de cette ressource publique.

.fr : la consultation publique pour l’ouverture des noms de domaine contenant 1 & 2 caractères numériques et/ou alphabétiques sous le .fr compte 6012 caractères. On pourrait donc pensé qu'elle n'a suscité que peu d'intérêt (une seule contribution) ; on risque d'assister au phénomène inverse lors de l'ouverture !


PUBLICATIONS

Alors que depuis des mois les tenants de la protection des toponymes font entendre leur voix contre les porteurs de projet de TLDs reprenant ces désignations, paraît un livre intitulé Protection of geographic names in international law and domain policy chez Kluwer. Félicitations à l'auteur, Heather Ann Forrest ! Merci aussi à Loïc André pour son livre Le droit des marques à l'heure d'internet, paru aux éditions Gualino.
Au rang des publications académiques récentes et intéressantes, est à signaler ce compte-rendu de conférence sur la gouvernance de l'internet étudiant le cas des noms de domaine.